L’année 2022 s’annonce cruciale pour le leadership chinois. Après les Jeux Olympiques d’hiver en février, les « Deux Assemblées » début mars marqueront officiellement le début des préparatifs de l’évènement le plus important de la vie politique chinoise des dernières décennies : le XXème Congrès du Parti en novembre, qui devrait, selon toute vraisemblance, maintenir le Président Xi Jinping au pouvoir.
Focalisé sur cette échéance, le Parti va employer toute son énergie pour s’assurer que rien ne vienne troubler la stabilité du pays avant ce grand rendez-vous.
La dernière réunion de l’année du Politburo et la conférence centrale sur le travail économique (CEWC- 中央经济工作会议) n’en font d’ailleurs pas mystère : « la stabilité (稳 ; wěn) est la priorité n°1 pour 2022 ».
La preuve en chiffres : le terme revient 25 fois dans le compte-rendu de ce symposium dédié à l’économie. C’est deux fois plus que l’an passé… Ce qui mène à la question suivante : à quel point la situation est-elle « instable » ?
Selon l’ex-ministre des finances Lou Jiwei, réputé pour son franc-parler, les principaux indicateurs économiques ne dévoilent pas entièrement les difficultés auxquelles la Chine fait face et qui inquiètent les dirigeants chinois.
En effet, après avoir entrepris une série de réformes structurelles et combattu « l’expansion désordonnée des capitaux » dans différents secteurs (tech, tutorat, jeux vidéo, divertissement, immobilier, énergie), les dégâts économiques sont trop importants pour être ignorés en 2022, particulièrement sous la menace constante du Covid-19, qui aggrave un peu plus la situation…
La croissance économique s’essouffle (7,9% au 2ème trimestre, 4,9% au 3ème trimestre, moins de 4% attendus au 4ème trimestre). La hausse des prix de l’énergie a provoqué une envolée des coûts de production, les prix de l’immobilier sont à la baisse dans les grandes villes, tandis que le taux de chômage des jeunes augmente suite aux différentes vagues de licenciements…
En un rare aveu, le leadership a reconnu que l’économie chinoise fait face à des pressions sur trois fronts : contraction de la demande, choc de l’offre et prévisions à la baisse.
C’est la raison pour laquelle Pékin devrait amorcer « un retour à la normale » en assouplissant graduellement sa politique monétaire et fiscale, et en augmentant ses dépenses en infrastructures en 2022. L’objectif est d’atteindre une croissance du PIB « d’au moins 5% » l’année prochaine, contre « 6% » en 2021.
Pour la seconde fois cette année, la Banque Centrale a annoncé réduire son taux de réserves obligatoires (RRR) de 0,5%, ce qui équivaut à l’injection de 1200 milliards de yuans de liquidités à long terme dans le système interbancaire.
Pas question néanmoins de procéder à un stimulus massif comme en 2009, ni de revenir sur ses nouvelles politiques. Il s’agit plutôt de les mettre « en sourdine » de manière à consolider la croissance en 2022.
D’après le compte-rendu de la CEWC, l’économie « réelle » devra être soutenue, tout comme les PME, qui pourront bénéficier d’exemptions fiscales et de réductions d’impôts.
La supervision des capitaux sera renforcée de manière à prévenir toute « croissance sauvage ». Un système de « feux de signalisation » pour les encourager, les restreindre, et les interdire dans certains domaines, sera mis en place.
Sans abandonner ses exigences en matière de données, de cybersécurité et de règles anticoncurrentielles, Pékin devrait accorder un peu de répit aux géants de la tech, tant qu’ils alignent leurs objectifs sur ceux de l’État, au nom de la « prospérité commune » notamment.
Dans un contexte de rivalité croissante avec les États-Unis, mais également de tensions généralisées avec l’Occident, le gouvernement réitère la nécessité de tendre vers l’autosuffisance, tant sur le plan alimentaire que technologique.
Après être allé un peu vite en besogne au sujet de la neutralité carbone, ce qui a provoqué une pénurie électrique historique, le leadership reconnaît que cet objectif ne pourra pas « être accompli en une seule bataille » et que le charbon est toujours la principale source d’énergie du pays.
Si le marché immobilier est pour l’instant suspendu au sort d’Evergrande, Pékin pourrait autoriser certaines villes à assouplir leurs restrictions. « Les logements sont faits pour y vivre, pas pour spéculer », répète néanmoins le communiqué.
Sous l’angle de la gouvernance, Pékin met en garde les autorités locales contre toute « solution uniformisée », comme la mise en place de mesures sanitaires excessives pour éviter de se faire limoger en cas de résurgence du virus… Les décideurs gardent également un œil sur l’endettement des gouvernements locaux, qui a déjà atteint un niveau inquiétant.
Craignant d’assister à une chute de la population chinoise dès 2022, les dirigeants appellent à une mise en œuvre active de la nouvelle politique du planning familial, qui autorise désormais tous les couples mariés à avoir trois enfants. Et les cadres du Parti sont priés de montrer l’exemple…
Sous cette perspective, il est évident que les affaires intérieures primeront sur les relations internationales en 2022. Le repli de la Chine sur elle-même devrait donc se poursuivre l’année prochaine, réduisant un peu plus les opportunités d’engagement avec la Chine… en attendant des jours meilleurs !
Sommaire N° 40 (2021)