Taiwan : Présidentielle 2024 : quel est le candidat préféré de Pékin ?

Présidentielle 2024 : quel est le candidat préféré de Pékin ?

Le déploiement était impressionnant, voire inédit : entre le 11 et le 18 septembre, l’Armée Populaire de Libération a envoyé vers Taïwan 20 navires de guerre et 103 avions de combat, battant le triste « record » d’août 2022, suite à la visite de Nancy Pelosi à Taipei. A l’époque, de nombreux commentateurs avaient mis cette activité militaire sur le compte de la visite de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis. Cependant, les récents exercices militaires viennent démontrer que Pékin n’a pas besoin de prétexte, ou peut se satisfaire d’un prétexte quelconque, pour déclencher une simulation en temps réel d’un encerclement de l’archipel.

Le Ministre de la défense taïwanaise a déclaré que le nombre d’incursions posait un « sérieux défi » à la sécurité dans le détroit de Taïwan et dans la région : « le harcèlement continu de l’armée chinoise est susceptible de provoquer une forte augmentation des tensions et une détérioration de la sécurité régionale », a-t-il déclaré, appelant Pékin à « cesser immédiatement un tel comportement destructeur et unilatéral ».

D’un point de vue réaliste, on pourrait se demander si l’objectif de ces sorties répétées n’est pas justement de rendre possible un accident qui pourrait justifier le déclenchement « d’opérations spéciales » de « pacification » dans la « province » de Taïwan pour « libérer » un peuple « ami » (pour reprendre les éléments de langage de la novlangue postcoloniale et néo-impériale).

Ces épisodes d’harcèlement militaire ne surviennent pas pour autant au sein d’un vacuum géopolitique et contextuel : le contexte, c’est d’abord celui des prochaines élections présidentielles taïwanaises qui auront lieu le 13 janvier 2024. Ce sera la huitième fois que les Taïwanais élisent leur président de la République au suffrage universel.

Un petit historique s’impose : en 2000, a eu lieu la première transition démocratique et pacifique avec la défaite de Lee Teng-hui, élu en 1996 et issu du parti fondateur de la République de Chine, le Kuomintang (KMT, parti nationaliste, « bleu ») et l’élection de Chen Shui-bian du Parti démocratique progressiste (DPP, « vert »), réélu par la suite en 2004. En 2008, nouvelle alternance avec l’élection de Ma Ying-jeou qui voit le retour au pouvoir du KMT. Ma Ying-jeou est réélu en 2012 avec un score moins élevé de 51,60 %. Le Mouvement Tournesol des Étudiants marque un tournant dans la définition identitaire de l’archipel : rejetant le projet opaque du KMT et du président Ma « d’accord commercial sur les services entre les deux rives », les étudiants occupent le Parlement du 18 mars au 10 avril 2014. Deux ans plus tard, Tsai Ing-wen (DPP) est élue avec une large majorité (56,12 % contre 31,04 % pour le KMT). En 2020, après la démonstration de suppression des libertés à Hong Kong et la perte d’attractivité du modèle « un pays, deux systèmes », Tsai est réélue avec un plébiscite plus large encore (57,13 % des voix).

En janvier prochain, ce seront quatre candidatschose nouvelle – qui s’affronteront dans une élection qui sera quoiqu’il advienne sans doute inédite. Deux appartiennent aux deux partis traditionnels : Lai Ching-te (cf. photo) pour le DPP (Tsai Ing-wen n’étant pas éligible pour briguer un troisième mandat) qui est l’actuel vice-président, et l’actuel maire de New Taipei City (7 millions d’habitants), Hou You-yi pour le KMT.

Ko Wen-je, ancien maire de Taipei (2,5 millions d’habitants) est candidat au sein du Parti du peuple de Taïwan (TPP), nouvellement créé (2019). Enfin, Terry Gou, milliardaire taïwanais et fondateur de Foxconn, le plus grand fabricant sous contrat d’électronique au monde est le quatrième candidat.

En termes de relations à la Chine, on peut classer les quatre candidats selon leur degré décroissant de promotion de l’autonomie de Taïwan : Lai, Ko, Hou et Gou. Gou a proposé un « projet de paix » avec la Chine ; on peut le comprendre, Foxconn possède 12 usines dans neuf villes de Chine continentale.

Pour l’instant, les sondages d’intention de vote donnent 42% à Lai ; 24% à Ko (plébiscité par les moins de 30 ans) ; 22% à Hou ; 7% à Gou. Une coalition Ko-Hou pourrait compromettre les chances de Lai, de même qu’une coalition Ko-Gou en cas de report massif des voix originellement dévolues à Hou.

En cas de victoire du DPP, ce serait une autre situation inédite : qu’un même parti gagne trois fois les élections présidentielles d’affilée. Si d’aventure le KMT se retrouvait en troisième position, cela entraînera une crise profonde du parti dont les finances ont été asséchées par le procès sur les bien mal-acquis durant la période autoritaire de Tchang Kai-shek.

Dans ce contexte, on se demande quel est le candidat idéal pour la Chine. Lai est évidemment le pire vainqueur possible : il continuerait et approfondirait le travail de Tsai Ing-wen et mettrait la Chine face à l’impasse de sa politique taïwanaise. Ko est le plus imprévisible : sa doctrine géopolitique n’est guère définie ; elle semble se fonder sur la reconnaissance d’une proximité culturelle assortie d’une volonté de conserver la distinction politique. Hou semble le meilleur candidat, mais le KMT a déçu la Chine durant les années Ma Ying-jeou, pourtant le président le plus pro-chinois depuis le début des élections présidentielles. Quant à Gou, son exposition financière à la Chine en fait le candidat le plus malléable, mais aussi le moins susceptible de l’emporter.

Toutefois, ce type d’analyse politiste présente un défaut important : on semble oublier que la Chine ne peut avoir de « candidat » préféré puisque celui-ci est le produit d’un régime politique honni – la démocratie. L’idéal pour Pékin serait peut-être qu’un général renverse le gouvernement et instaure une dictature militaire. Le meilleur candidat pour la Chine, c’est tout ce qui pousse les électeurs à se désintéresser des élections et/ou à ne pas reconnaître le vainqueur quel qu’il soit.

C’est dans ce cadre que les exercices militaires actuels doivent se comprendre. Si la Chine voulait réellement soutenir un candidat, elle ferait profil bas pendant la campagne électorale et montrerait qu’elle est une puissance bienveillante. Ce harcèlement militaire ne peut que donner raison au DPP que la Chine représente une menace pour la sécurité nationale et que toute promesse de paix est illusoire : la paix suppose la reconnaissance de l’autre. La Chine semble incapable de faire la paix avec ce qui, pour elle, n’existe pas : le gouvernement légitime et démocratiquement élu de Taïwan.

Par Jean-Yves Heurtebise

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