Enfin une bonne nouvelle pour les chemins de fer chinois : fin août, Jakarta a donné son feu vert à la construction de la ligne de TGV Jakarta – Bandung. Cette première liaison très rapide en Indonésie, revient à un consortium mixte, entre un groupe javanais de BTP et la CRC (China Railways Corp), pour un budget de 5,1 milliards de $.
Sur ce projet, la Chine avait affronté la concurrence du Shinkansen japonais. En octobre 2015 Pékin emportait le contrat, mais en janvier, Jakarta se déjugeait en un coup de théâtre : le permis ne valait que pour les 5 premiers kilomètres. Pour le reste, il faudrait l’accord de chaque province le long du parcours. Ce qui fut obtenu, permettant aujourd’hui le vrai début des travaux.
Toutefois les termes du contrat révèlent que dans cette affaire, la Chine, requérante, a été forcée à de spectaculaires concessions. Au dernier moment, la facture a été limée de 370 millions de $. Les banques chinoises avancent 75% du financement (contrairement à leur tendance présente), sans la garantie de bonne fin de l’Etat indonésien. Contrairement au Japon, la Chine a renoncé à cette clause, pourtant très fréquente dans les contrats internationaux. En marge du G20 de Hangzhou, Xi Jinping en était encore à prier son homologue J. Widodo de soutenir le projet.
Pour Xi, ce contrat était celui que la Chine ne pouvait se permettre de rater, après la résiliation en juin du contrat Los Angeles—Las Vegas, et les retards sur les projets à travers Laos et Thaïlande.
Il faut dire que la CRC, consortium public, constructeur du réseau et exploitant ferroviaire national, n’est pas en bonne santé, avec un endettement de 4140 milliards de yuans en mars (+10,4% par rapport à 12 mois plus tôt) et 8,73 milliards de pertes sèches au premier trimestre, 35% de plus qu’en 2015. Cette ardoise massive (65% de ses actifs) résulte de 10 ans de « planche à billets » à fonds perdus pour doter le pays du plus long réseau de TGV mondial (19.000km), et d’un outil de construction ferroviaire puissant et dernier cri. Pour le rentabiliser, il comptait sur une hausse continue de la demande intérieure (tous types, fret et passagers).
En passagers, la tendance n’est pas trop mauvaise, avec des ventes de billets en hausse de 14% au 1er semestre, pour un chiffre d’affaires de 135 milliards de yuans. Mais les profits ne suivent pas : le réseau TGV ne peut pas être emprunté en même temps par un trafic fret beaucoup plus lent. De plus, il exige un entretien plus strict, pour la sécurité. Aussi la desserte Pékin-Shanghai n’a connu le profit qu’en 2015 après 4 ans d’exploitation, et bien d’autres lignes TGV restent dans le rouge.
Le trafic fret lui, stagne en pleine déconfiture. Il a connu un recul en volume de 10% de janvier à juillet (1,8 milliard de tonnes transportées), et une recette de 101 milliards de yuans, moins 14,7% sur la même période en 2015. L’érosion du fret suit le ralentissement de l’économie : moins d’acier, de charbon, de bois, d’équipements transportés. Pour enrayer l’hémorragie, la CRC teste de nouvelles voies, comme la vente d’espaces commerciaux dans ou autour des gares, ou l’impression de publicité sur les billets.
L’Etat lui, n’a d’autre choix que de continuer à soutenir la CRC. Chaque année depuis 2010, il a financé en moyenne 800 milliards de yuans en infrastructures nouvelles. Il poursuivra l’effort au moins pour la durée du 13ème Plan (2016-2020), avec 3800 milliards de yuans en frais d’infrastructure. Très ambitieux, il prévoit sur 15 ans huit « corridors » à haute vitesse Nord-Sud, et huit Est-Ouest. À partir de sections nouvelles raccordées aux existantes, il veut créer un damier ferroviaire TGV reliant toutes les 30 capitales provinciales et conurbations de plus de 500.000 habitants, pour un réseau augmenté de 26.000 km.
Nonobstant son audace, ce plan fait froncer les sourcils à la plupart des experts, sous la perspective de la rentabilité : les lignes TGV coûtent le double de celles conventionnelles, ce qui se ressent sur le prix du billet, et sur la fréquentation. De plus, les trains qui circulent à vide, imposent de nouvelles pertes de par leur entretien et coût en énergie.
Reste donc, comme chance de rentabiliser ce savoir-faire, l’export. A ce sujet, pas par hasard, la CRRC, consortium national de construction ferroviaire, a mis en service le 15 août sur la ligne Dalian—Shenyang, le premier TGV 100% chinois. L’avantage étant de s’épargner les royalties (pour les productions sous licence), et l’import de systèmes sous propriété intellectuelle de la concurrence, Alstom, Siemens, Bombardier (Canada) ou Kawazaki (Japon). Cette nouvelle rame, que la Chine dit aussi rapide et plus sûre, suit ses normes, établies conjointement par la CRC, la CRRC et l’Académie des Sciences ferroviaires. Elle sera, annonce Zhou Li, directeur du département R&D à la CRC, celle destinée à l’exportation à l’avenir.
Mais l’exportation de TGV chinois va-t-elle vers des lendemains qui chantent ? Pas sûr, selon SCI Verkehr, le bureau allemand d’analyse. Pour lui, le marché mondial des trains va passer de 162 milliards d’€ aujourd’hui à 180 milliards en 2018. Mais la partie « TGV » est encore infime, 4883 km en construction fin 2013, pour une valeur de 18,5 milliards d’euros. Ce marché est si concurrentiel que les profits sont maigres dans la filière, même en faisant jouer les subventions des gouvernements. La plupart des pays intéressés par des TGV, ne le sont qu’à moyen terme. Autrement dit, l’âge d’or du TGV, s’il doit advenir, est pour… après-demain.
Sommaire N° 29 (2016)