Transports : Ferroviaire – la nouvelle donne

Le 30 décembre, CNR et CSR, n°1 et n°2 des trains et métros chinois, ont fusionné en un groupe unique : le China Railway Rolling Stock Group (CRRS) aux 172.000 employés, 22 milliards d’€ d’actifs et 25,7 milliards d’€ de chiffre annuel. Un Tyrannosaure Rex, plus lourd que Bombardier (7 milliards d’€), Siemens (6,3 milliards) ou Alstom (5,9 milliards) réunis. 

Jusqu’en 2000, existait un groupe ferroviaire unique sous administration directe du ministère. Il fut alors divisé en CNR (Pékin) et CSR (Shanghai). Chacun créa sa filière TGV, avec des crédits et technologies étrangères reçues de l’administration. En 10 ans, ils créèrent sur le territoire national, le 1er réseau de TGV mondial. En 2011, les groupes, séparés du ministère (suite à la collision de deux TGV à Wenzhou, et au scandale de corruption du ministre Liu Zhijun) gagnèrent en autonomie. Enfin, fin 2014, les voici reconcentrés en une unité, maîtresse de 100% du marché.
Une fois décidée la fusion en 2014, il suffit alors de procéder à un échange de parts en bourse, au taux de 1 (CNR) contre 1,1 à celles de la CSR, qui fut maître d’œuvre de la fusion, reprenant les actifs, le personnel et les dettes du groupe nordiste. 

Une des raisons alléguées à cette fusion, est la concurrence féroce qui opposa ces groupes sur les marchés étrangers : à Boston en juin 2014, CNR empochait un contrat de 284 wagons de métro pour 470 millions de $, en proposant un prix 50% moins cher que Bombardier, et 20% de moins que CSR ! 

Par cette fusion, Pékin voulait mettre fin à la guerre des prix. Nicholas Lardy, du Petersen Institute (USA) ne croit pas à cette explication : « pour enrayer le dumping, pas besoin de fusion. Il suffit de priver le groupe d’un accès illimité au crédit à bas prix ». Pour lui, cette décision permet avant tout de renforcer l’économie d’Etat. Yuan Guangming de la CASS, l’Académie chinoise des Sciences Sociales, est du même avis : la fusion est un « pas en arrière ». La scission de 2000 avait pour but d’injecter au secteur la concurrence et les lois du marché. Aussi D. Scissors (American Enterprise Institute) doute de la volonté de l’Etat d’appliquer sa législation sur les monopoles – hormis contre les groupes étrangers, s’entend. 

Pourtant, renforcer la capacité concurrentielle est bien l’un des objectifs. Ayant grandi grâce au monopole du marché national, CRRS ne détient encore que 2,2% du marché mondial. Mais avec une politique commerciale agressive, des atouts tels son économie d’échelle, des TGV plus récents, plus rapides (700km/h, déjà annoncé) et une forte capacité de financement, il entend inverser la vapeur. 

Dès maintenant, une liste impressionnante de projets apparaît : dans les Balkans, une ligne Skopje- Budapest à 2,6 milliards d’€ financée par l’Eximbank ; en Russie une ligne Moscou-Kazan vers l’Europe via la Crimée ; en Asie Centrale et Asie du Sud-Est, 3 « routes ferroviaires de la soie », et en Amérique Latine, entre Pérou et Brésil, une ligne TGV d’Océan à Océan…Pékin sait que bientôt, le réseau intérieur TGV sera achevé. Aussi, comme prochaine étape, il veut conquérir le marché planétaire. 

Xie Jilong (CNR) dévoile par ailleurs un objectif, peut-être le plus fondamental, à cette fusion : 1ère matérialisation d’une « stratégie nationale », elle doit servir de modèle à la restructuration de l’économie chinoise. Des règlements sortiront en février qui encadreront la refonte des secteurs stratégiques, concentrant les groupes, créant des holding d’approvisionnement ou de vente, des centres de R&D.
Les prochains secteurs concernés pourraient être les travaux publics ferroviaires (un méga groupe de 65 milliards de € se profile), le BTP, les aciéries, l’énergie… 

NB : Le grand plan de crédits évoqué dans le VdlC n°1 (930 milliards d’€ en 3 ans), s’inscrit dans ce contexte, qui le différencie du plan de simple stimulus de 400 milliards d’€ de 2008.
Pour l’avenir, CRRS viserait donc le rachat de filiales ferroviaires des leaders mondiaux, Bombardier, Siemens, Alstom voire Kawasaki.

Mais en face, ces groupes matures, détenteurs de décennies de savoir-faire et de brevets, gardent une avance en analyse des besoins, en solutions multimodales, et maîtrise des coûts. Eux seuls savent donc, en 2015 offrir des systèmes globaux, qui est la tendance d’avenir. Un autre atout pourrait aider les compagnies occidentales : l’Europe, si les Etats membres acceptaient de mettre en commun réseaux et appels d’offres, afin à leur tour de protéger le marché et réduire les coûts de production. A cette condition sine qua non, face au géant qui s’élève, la messe n’est peut-être pas dite.Enfin, la corruption rampante dans le secteur chinois, peut aussi enrayer sa progression. China Daily vient de le publier : six mois avant la fusion, les état-majors des deux groupes et leurs entourages ont commencé à se vendre des parts respectives, anticipant leur montée en valeur. Alors qu’ils prétendent avoir tout ignoré du projet de fusion, le scandale pour délit d’initié explose. Permettant, au passage, de mieux comprendre la discrétion des groupes lors de l’annonce de la fusion…

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