Pur produit du socialisme chinois, Wang Jianlin (Wanda) n’en est pas moins un des plus brillants succès en terme de capitalisme privé.
En 2015, son parc immobilier locatif est le second mondial, étendu sur 93,5 millions de m² (galeries commerciales, résidences, bureaux…) que Wanda loue pour financer ses opérations nationales et à l’étranger (comme à Londres avec les tours « One Nine Elms », 200 et 165 mètres de hauteur). Avec une fortune avoisinant les 25 milliards de $, Wang est un des hommes les plus riches du pays.
Mais quels sont les secrets de sa réussite ? Né en 1954 au Sichuan, Wang est fils d’un militaire compagnon de Mao. A 15 ans, il s’engage dans l’armée, qu’il quittera à 32 ans, attiré par les affaires. Fort de nombreux soutiens dans l’APL, il fonde son groupe immobilier en 1988, à Dalian (donc avant tout le monde, et le boom foncier des années ‘90), avec pour capital 80.000$ empruntés – preuve du formidable réseau d’influence dont il jouira toute sa vie. Dans les années ‘90, Wang saisit sa chance en redressant une compagnie d’Etat immobilière endettée, grâce à la restauration d’une partie des logements délabrés de Dalian, dotant chaque appartement d’une salle de bain, luxe inédit pour l’époque.
Toujours dans le souci de conserver une avance sur ses rivaux, Wang, voyant poindre le temps où la Chine une fois logée et employée, se posera la question de ses loisirs, ce que le régime englobe dans sa politique culturelle de « soft power ». Il y investit en grand, sur un large éventail de secteurs.
Côté sport, en grand amateur de football, Wang sponsorise dès 1994 le club de Dalian, prenant le nom Dalian Wanda FC. Avec la même ferveur, il rachète 11 ans plus tard, 20% du club Atlético de Madrid (20/01) pour 45 millions d’€, puis passe à la vitesse supérieure en déboursant 1,05 milliard d’€ pour Infront Sports & Media, groupe qui détient certains droits médiatiques des Coupes du Monde de la FIFA. Bonne opération pour Wanda, mais aussi pour la Chine, dont le rêve est d’héberger un jour ce grand rendez-vous mondial. Xi Jinping, notoire fan du ballon rond, ne peut qu’applaudir…
Côté culture, Wanda possède 14% des cinémas du pays, et vend en janvier 2015 en bourse de Shenzhen pour 210 millions de $ d’actions, pour financer l’accroissement de ce parc d’ici fin 2016, à 2300 salles obscures. En rachetant aux Etats-Unis la chaîne de cinémas AMC en mai 2012, pour 2,6 milliards de $, il devient 1er exploitant mondial. Il négocie aussi la reprise majoritaire de Lionsgate, et une part dans MGM, autres géants du film. En septembre 2013, Wang Jianlin crée à Qingdao un Hollywood version chinoise, « Oriental Movie Metropolis » pour 8,3 milliards de $, tandis qu’à Beverly Hills, il achète un domaine 1,2 milliard de $ pour en faire son QG culturel mondial.
En Chine, il multiplie les parcs à thèmes, et recrute des consultants américains pour rivaliser avec Disney. Son parc de Wuxi a coûté 5,8 milliards de $. Ceux de 5 villes dont Harbin et Hefei, en construction, recevront 14,7 milliards de $. Dix autres parcs sont planifiés, dont Pékin, Dalian et Canton.
Wang Jianlin mélange les genres : dans 100 villes, ses centres commerciaux sont déjà à 40% (bientôt 60%) occupés par des karaoké, salles de concerts ou cinémas. Cette diversification est encouragée par l’Etat qui en 4 ans, a versé à Wanda 1,28 milliard de $ de subventions. Wang est visionnaire : entre le e-commerce et les projets de supermarchés, la Chine va droit au suréquipement commercial. Mais il croit pouvoir s’en prémunir par son choix culturel : patiemment, il accompagne le besoin montant de la population en « choses à faire ». Et le jour venu, il sera parmi les rares à fournir ces biens immatériels, ce dont le e-commerce sera incapable.
Capitaine charismatique de son navire, Wang a fixé son avenir. D’ici 2020, il veut porter ses revenus de 40 milliards de $ à 100 milliards de $. Alors, il se retirera, remettra sa fortune à des œuvres caritatives (sauf 2% à son fils), et sculptera sa statue pour la postérité. En décembre 2014 à Danzhai (Guizhou), il promettait 160 millions de $ pour améliorer le sort de 2 millions de paysans pauvres.
Malgré (ou peut-être à cause de) ces succès, Wang a des ennuis. Certains lui reprochent ses liens passés avec Bo Xilai (il s’en défend). Son fils, pour avoir trop enthousiastement proclamé son goût pour les atouts féminins, se voit taxer de « luxure »…
L’affaire ferait sourire, si Jack Ma, autre chevalier d’industrie (Alibaba), n’était aussi attaqué sur un prétexte dilatoire : échouer à éviter les produits piratés de ses boutiques en ligne. Faut-il en déduire que la campagne anti-corruption se met à viser les champions du secteur privé ?
En tout cas, Wang, avec son instinct infaillible, a fourni sans tarder la parade politique imbattable : son fils, innocent mais pas mauvais, aurait été perverti par ses années d’études à l’étranger ! Un message anti-occidental conforme à celui du pouvoir, et qui devrait permettre de couper court aux critiques.
Sommaire N° 8 (XX)