Editorial : Le « new deal » Chine-Cône Sud

Cette semaine, le tandem Xi Jinping/Li Keqiang lance les 4 politiques qui doivent forger l’héritage de cette première législature. Au sommaire de ce numéro : les réformes des consortia publics , du marché des capitaux , du tissu industriel (plan « made in china 2025 » ), et du redéploiement industriel (1ère « Route de la soie » en Amérique Latine, annoncée lors de la visite de Li Keqiang, 18-26 mai). C’est un moment clé : après deux ans de campagne anti-corruption et de frappes contre toute opposition, le pouvoir estime le terrain mûr pour ses réformes.

Au Brésil, Li Keqiang est arrivé en position de force. Après 10 ans d’achats de soja, pétrole et minerai de fer (79% des importationss), toujours plus volumineux et plus chers, la Chine passant au « nouveau normal » en 2014, a coupé le robinet, faisant chuter les cours et mettant le Brésil –et tout le Cône Sud– en difficulté : 78% des firmes exportatrices y ont vu leurs affaires reculer. Aussi quand Li arrive avec un nouveau deal en poche, offrant au Brésil du crédit et des infrastructures, il est accueilli en sauveur : pour la première fois, le Brésil commence même à accepter l’idée de compagnies chinoises participant à des chantiers d’équipement sur son sol. Avec la Présidente Dilma Rousseff, Li a signé 53 milliards de $ de crédit pour 35 projets. La part du lion revient à Petrobras, monopole notoirement corrompu et mal géré, venant de perdre 15 milliards de $. Le groupe touchera 10 milliards d’argent frais dont il a bien besoin de la CDB, de l’ICBC et de l’Eximbank. Mais rien sans rien : les conditions (secrètes) devraient être des livraisons de pétrole, voire une entrée chinoise au capital. State Grid construit la ligne à super haut-voltage Belo-Monte (futur 3ème barrage mondial, 1GW) / São Paulo, à 1,5 milliards de $ dont 51% à sa charge—il devrait aussi emporter en juin la ligne Belo Monte / Rio, à 2,5 milliards de $ .
Les deux gouvernements conviennent aussi de lancer l’étude de faisabilité pour une voie ferrée « 2 Océans » de Porto do Açu (Brésil) à Puerto Ilo (Pérou), 5300 km via l’Amazonie et les Andes, pour 10 milliards de $. Ensemble, ces deux projets de titans (ligne à haute tension et ligne transocéanique) sont dans l’esprit d’une 1ère « route de la soie » chinoise au Brésil.
D’autres contrats concernent des commandes de 30 jets E-190 d’Embraer ; le feu vert pour un export de viande (bœuf et volaille) de 500 millions de $ ; et de l’argent frais (4 à 5 milliards de $) pour le minéralier Vale.
Frappant est le nombre de nouveaux fonds d’investissement spécialisés pour l’Amérique Latine : un fonds public chinois de 30 milliards de $ pour des « JV à l’étranger » ; un fonds de 40 milliards de la CIC ; un fonds mixte, CECIC (Chine) et Serasa Experian (Brésil)…Dans son opération séduction, Li Keqiang n’a pas oublié ce détail important pour un continent auprès duquel la littérature joue un grand rôle : il a amené plusieurs écrivains, dont le prix Nobel Mo Yan. 
Après le Brésil, le 1er ministre se rend en Colombie, au Chili et Pérou, et dépose à chaque étape son lot de largesses : moins par « générosité » ou « humanisme » que comme investissement éclairé. En passant par l’étape des « chèques bruts » pour l’achat de matières premières, à celle de l’équipement et des partenariats, Pékin répond à une demande et crée une interdépendance, ce que d’autres ne peuvent pas (ou plus) faire. Ainsi, la Chine redessine la carte géostratégique d’un Cône Sud qui était jusqu’alors l’« Hinterland » des Etats-Unis. Une ère s’ouvre sur une nouvelle influence : on ne sait rien d’elle, mais elle apparaît plutôt rassurante…

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