Politique : La saga de la réforme des conglomérats d’Etat (1ère partie)

Depuis janvier, aucune semaine ne passe sans rumeurs sur la réforme des groupes d’Etat. Un dossier qui écartèle le régime, entre le concept martelé par Li Keqiang depuis 2012 (partager équitablement et plus efficacement le fruit de la croissance avec le privé, les PME, les migrants), l’union sacrée des conglomérats arc-boutés dans la défense de leurs privilèges, et leur endettement extrême (70% de la dette nationale et 150% d’un PIB selon le FMI ) qu’il faut d’urgence résorber… 

En février, Pékin lançait la fusion de CNR et CSR en China Rail, mammouth mondial des chemins de fer à 26 milliards de $ d’actifs. L’opération est imminente, après la suspension des cotations en bourse des deux groupes ferroviaires (10 mai).
Entretemps se dessinent les mariages de China Power International et State Nuclear Power Technology (100 milliards de $ d’actifs), China Railway Corp et China Railway Construction Corp, Bright et Liangyou, groupes agroalimentaires. Dongfeng et FAW, les n°2 et n°3 de l’automobile chinoise sont aussi l’objet de bruits de fusion, qu’ils démentent.
Au total, la Chine compte 112 super-groupes publics, aux 277 filiales, au capital de 1600 milliards de dollars. Début mai, la NDRC (l’arbitre de l’économie nationale) annonce leur restructuration en 40 conglomérats, dont seuls 10 resteraient sous tutelle de la SASAC, leur lobby qui s’oppose de tout son poids à cette réforme. 

Bizarrement, tout en essuyant des pertes colossales (-94% à la CNPC en un an), les conglomérats d’Etat se portent comme des charmes en bourse : depuis la rumeur de leur fusion, CNR et CSR voient leurs cours exploser de +400% en trois mois, et CNPC prendre 30% dans le mois. Or, selon plusieurs experts, cette montée a deux causes inavouables :
le délit d’initié (par les cadres des firmes et les fonctionnaires préparant les fusions, qui rachètent les parts), et la libération par l’Etat, le 16 avril, de 160 milliards de $ gelés dans les banques (réserves obligatoires), crédit à 100% réinvesti en bourse. Il s’agit donc d’un stimulus sciemment voté au Comité Permanent et qui vient d’être à nouveau renforcé par une 3ème coupe des taux d’intérêt en 6 mois.
Un des objectifs de l’Etat est d’alléger le passif de ces groupes publics, dont la dette a augmenté de 30% en 12 mois. Il s’agit donc, selon la CASS, de rembourser fournisseurs et créanciers, et financer les cotisations des employés à la sécurité sociale. Par suite, les groupes fusionnés devront se séparer des usines et personnel redondants, et de passer à un type de gouvernance plus internationale, tournée vers le profit – par exemple en intéressant davantage leurs CEOs aux résultats.
Dernière étape, ces groupes mondiaux riches en cash (3400 milliards de $ de devises détenues par la Banque centrale) et en technologies (centrales nucléaires, TGV, éoliennes, avions gros porteurs), à moindre prix (par économies d’échelle en s’appuyant sur la fourniture de leur marché intérieur), ne se cachent pas de prétendre racheter la concurrence étrangère, viser la reprise, en ferroviaire, des branches « TGV » de Bombardier, voire d’Alstom et Siemens , et en nucléaire, celle d’Areva via ses partenaires chinois CGNPC et CNNC. De la sorte, Pékin vise le contrôle du marché mondial, mais aussi l’export massif de capital, permettant de rééquilibrer des flux financiers déséquilibrés vers l’Amérique du Nord et l’Europe. 

Enfin, « cerise sur le gâteau » de ce plan, ces conglomérats assainis dans le cadre du plan « made in China 2025 », formeront le socle indispensable au nouvel outil, en plein déploiement, d’exportation de capital et de technologie chinoise à travers les cinq continents, dans le cadre du plan à long terme « une ceinture, une route » (一带一路), d’équipements en axes de communication et en zones industrielles des nouvelles « routes de la soie ».
Ce grand concept pourrait plonger le monde industriel occidental dans l’inquiétude. Et pourtant, de notre point de vue, il n’y a pas de quoi, en raison de plusieurs faiblesses intrinsèques du concept :
agrandir des groupes déjà géants, n’est pas le meilleur choix pour combattre les mauvaises habitudes de vie sur les monopoles et le crédit gratuit. De même, le système n’encourage pas la concurrence, mais la détruit, et décourage l’innovation et la quête d’excellence.
– Dans ses principes fondateurs, on détecte le souci politique d’assurer l’avenir du Parti, ce qui n’a rien à voir avec l’intérêt de l’entreprise. Par exemple, la potentielle fusion FAW-Dongfeng ne ferait rien pour rentabiliser ces groupes qui tirent l’essentiel de leurs profits de leur JV avec l’étranger. Même des groupes chinois privés comme Geely ou Chery réclament la levée de l’obligation de JV, qu’ils décrivent comme une source néfaste de distorsion de concurrence, au détriment des privés, mais aussi des groupes d’Etat (qui ne ressentent jamais le besoin de se battre pour combler leur retard face à l’étranger).
– Enfin, il est improbable que les gouvernements euro-américains ou nippons acceptent de transférer leurs bijoux technologiques à la Chine.
La question ultime, est celle de la finalité de cette réforme des conglomérats.
Elle a deux buts possibles, soit affranchir les grandes entreprises publiques du contrôle de l’Etat, soit renforcer celles-ci en un n°1 mondial par secteur, avec subventions et protections à la clé. Mais dans ce dernier cas, la Chine subira une perte d’image, peu compatible avec sa prétention d’être partenaire. Son risque, dès lors, sera de voir naître une coalition économique pour sauver l’indépendance industrielle de l’Ouest, et la « contenir ». Tout prête à penser qu’entre ces deux options, le pouvoir n’a pas encore tranché. 

Eclairage spécial sur le secteur pétrolier la semaine prochaine !

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