Après 10 ans d’efforts, la Chine entre par la grande porte au club des nations banquières.
En projet depuis 2014, sa Banque Asiatique d’Investissements en Infrastructures (AIIB) vient de franchir le cap des 30 nations signataires, suite à la candidature de la Grande-Bretagne (12/03), suivie de celles de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, voire du Luxembourg.
Tout a débuté en août 2014 quand Pékin lança le projet, conjointement avec New-Delhi, au capital de 50 milliards de dollars.
Destiné à l’équipement de l’Asie, l’organe avait a priori vocation similaire au Fonds Monétaire International (737 milliards de dollars), à l’Asian Development Bank (163 milliards$) et à la Banque Mondiale (352 milliards$), toutes pesant donc bien plus lourd. Les bonnes fées au dessus du berceau de l’AIIB promettaient qu’elle « apprendrait des bonnes pratiques » de ses consœurs, mais qu’elle allait s’efforcer de « suivre un autre chemin, pour réduire les coûts et renforcer l’efficacité ».
En novembre, 21 nations asiatiques, toutes bénéficiaires potentielles, se présentaient comme cofondatrices. L’obstacle toutefois allait être le même que celui qui avait inspiré à la Chine l’initiative de l’AIIB : les Etats-Unis qui, depuis des années, bloquaient la réforme – pourtant modeste et raisonnable – du FMI. Cette réforme convenue par les nations dès 2010, aurait donné quelques voix de plus aux 5 pays « BRICS » dont la Chine, et aurait doublé le capital de l’organisation de Christine Lagarde.
Mais le Congrès américain s’y refusait, tant par intérêts matériels (le FMI d’obédience européenne aurait grappillé des parts de marché à l’américaine Banque Mondiale) que par sensibilité politique : la Chine n’a pas bonne presse à Washington. Aussi Pékin avait lancé son AIIB, par exaspération après ces années de sur-place.
C’est sans doute pour cette raison que la Maison Blanche, sûre de ne pas obtenir le feu vert du Congrès pour adhérer à l’AIIB, avait recommandé à ses alliés de la bouder, alléguant le risque de mauvaise gestion.
Sur ces nations disséminées entre les cinq continents, la discipline américaine a tenu six mois, jusqu’au moment où le ministre britannique des Finances, G. Osborne, annonça le ralliement de son pays.
Pourquoi ce retournement ? Parce que le cabinet de David Cameron avait besoin de préserver le statut de Londres de premier centre financier offshore en yuans, sur l’Europe et les USA.
Mais cette décision britannique avait deux lourdes conséquences :
– c’était la première fois qu’un coin était enfoncé entre la Grande Bretagne et les Etats-Unis en matière de solidarité financière, et le marteleur était la Chine.
– et le ralliement britannique allait provoquer, par effet de dominos, celui d’un bon nombre d’Etats décisifs. Aucune des autres places financières d’Europe, France, Allemagne et Italie voire le Grand Duché du Luxembourg ne pouvaient laisser Londres quitter seule la solidarité Atlantique. De ce fait, le capital de l’AIIB devrait bientôt doubler à 100 milliards de dollars.
Presque simultanément, la Suisse préparait sa demande, suivie par Australie et Corée du Sud qui se ravisaient du « non » qu’elles avaient déjà annoncé. Pour la Chine, c’était un triomphe (qu’elle sut garder modeste), tandis que le grand perdant étaient les Etats-Unis -plus exactement le Congrès, subissant une perte d’image.
La nouvelle banque devrait être opérationnelle et son premier prêt intervenir avant décembre.
La question sur toutes les lèvres, est de savoir si l’AIIB sera rivale ou complémentaire de l’ADB ou de la Banque Mondiale.
Selon R. Kahn, du Council on Foreign Relations (USA), dans un premier temps au moins, elle devrait coopérer avec ses consœurs, et multiplier les cofinancements. Ceci, pour limiter le risque des mauvais projets et de gaspillage de ressources, préjudiciable durant les années initiales où se forge l’image de la banque. Il faudra partir de rien, créer des équipes de terrain, et inventer une forte gouvernance permettant à la banque de résister aux lobbies, tant chez les bailleurs de fonds que chez les pays bénéficiaires.
Parallèlement à l’AIIB, on trouve d’autres instituts financiers internationaux créés par la Chine, telle la banque des « BRICS » et le Fonds des « Routes de la soie » doté de 40 milliards de $. Une de ses finalités consistera à financer l’exportation de produits de base chinois en surcapacité (acier, électronique, matériaux de construction) pour construire ces routes, lignes ferrées ou barrages visés.
Manquent encore les règles de gouvernance, les accords de protection des investissements, voire la libre convertibilité du yuan. Mais comme on le constate en ces colonnes semaine après semaine, toutes ces choses se mettent en place, à une vitesse finalement plutôt hallucinante.
Sommaire N° 12 (XX)