Finance : La Chine trouve son autoroute en devises

Discrètement, mais non sans fierté, la Banque Centrale chinoise laisse filtrer la nouvelle : d’ici décembre au plus tard, ses difficultés techniques rencontrées l’an passé étant résolues, le CIPS (China International Payment System) entrera en fonction fin 2015 au plus tard, permettant les paiements en renminbi depuis l’étranger. Il est aujourd’hui encore testé par 20 banques (13 chinoises et 7 étrangères).

Jusqu’alors, les échanges se font via le réseau occidental SWIFT, lequel annonçait début janvier que le yuan se hissait à la 5ème place du classement des devises les plus utilisées en 2014.

Pour l’heure, pour facturer de l’étranger vers la Chine ou vice-versa, il faut passer par les quelques banques de compensation en RMB offshore (dites de « clearing ») ouvertes à Hong Kong, Singapour, Luxembourg, Londres ou Paris, ou recourir à une banque chinoise depuis la Chine. 

Dès son lancement, le CIPS supprimera les intermédiaires, d’où un gain de temps et de frais de commissions, loin d’être négligeables. De 1946 à 2002, l’historien des finances Niv Horesh (Université de Nottingham), cite un gain du trésor américain de 953 trillions de dollars. Et dans le cas où le CIPS s’imposerait comme l’instrument de paiement en Asie du Sud-Est et de l’Est, la Banque Centrale chinoise encaisserait 744 trillions de yuans sur 10 ans. Disparaitront aussi les délais techniques empêchant les paiements à certaines heures, tout comme les erreurs de traduction qui occasionnent le retard ou la perte des fonds. 

Au profit de l’Etat, le CIPS accélérera la banalisation du yuan dans le monde et l’émergence de la Chine en puissance monétaire. En réduisant son usage des devises étrangères, la Chine réduira aussi son risque de change sur ses réserves. 

Une raison à l’accélération du CIPS a été l’exclusion de la Russie du réseau SWIFT, comme sanction pour sa guerre ukrainienne. Dès lors en février, Moscou a lancé son propre mécanisme, avec 91 banques pour commencer. Pékin se devait d’emboiter le pas pour se prémunir d’un risque identique et pour soutenir le réseau russe –seul, il demeurait inefficace. 

La dernière raison n’est pas la moindre : l’affaire Snowden a révélé la capacité de la NSA à craquer le réseau SWIFT et les affaires de la Chine hors frontières, qui ne peut pas tolérer un si puissant espionnage.
Pour le réseau CIPS, le compte à rebours est engagé. Quelles conséquences peut- on dès maintenant en attendre ? 

Pas par hasard, la Chine lancera en même temps que son CIPS, trois « routes de la soie » dites « yīdài yīlù  », (一带一路, « une ceinture, une route »). Traversant l’Asie du Nord-Ouest, du Sud-Est et du Sud, ces projets qui ambitionnent de modifier les vies de centaines de millions d’habitants, ouvriront des nouveaux trafics et centres de production, souvent financés en yuans, pour des centaines de trillions de dollars sur un demi-siècle. 

Si le CIPS peut être accéléré, c’est aussi suite au constat que les banques chinoises, dans les années de crise succédant à 2008, ont mieux résisté que celles d’Europe et d’Amérique. Aucune faillite ou douloureux plan de sauvetage n’y a été enregistré. Au contraire, la croissance moyenne a été de 9%.

Ce CIPS va constituer un grand pas vers la convertibilité du yuan et la libre circulation des fonds. Il manque à cette fin, toutefois, la libération des comptes capitaux— la libre-circulation des capitaux étrangers en Chine, et vice-versa. On en est encore loin. 

La Chine n’est pas prête à une telle mesure, qui la privera de sa liberté de fixer la valeur de sa monnaie (et donc, de gonfler ses exportations), et la privera aussi de sa « grande muraille monétaire » contre les capitaux spéculatifs dits « hot money ». Elle sera donc plus vulnérable à des attaques de fonds étrangers, contre ses bulles, immobilières ou du pétrole, par exemple. 

Une conséquence de l’arrivée du CIPS concernera la Russie. Les deux pays ayant lancé presque simultanément leurs « SWIFT-bis », ils voudront les interconnecter. Il en résultera un approfondissement de la coopération, qui va dans le sens politique voulu par leurs leaders, et dans leurs intérêts nationaux de concurrence et de contestation de la puissance des Etats-Unis. Pour autant, il reste aujourd’hui peu probable que cette coopération aille jusqu’à une intégration, tant les divergences et méfiances culturelles demeurent profondes. 

Prenons acte pour conclure des intentions exprimées par Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la Banque Centrale sur le départ, l’un des artisans du CIPS : il ne s’agit pas de supplanter le dollar U.S en tant que monnaie mondiale de réserve, mais plutôt de contrôler l’internationalisation contrôlée et progressive du yuan, dans le commerce extérieur et les investissements à l’étranger. 

Certains observateurs soupçonnent la Chine de viser en matière monétaire, un renforcement considérable de son influence mondiale, comme elle semble vouloir le faire aussi en d’autres domaines, diplomatique et militaire en particulier. Mais la Chine elle, affirme rechercher un scénario différent de ceux historiquement suivi par l’Europe et les Etats-Unis. En attendant de voir ce qu’elle fera, elle a droit au bénéfice du doute.

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