Tambourinée depuis janvier dans le landernau industriel lourd, la fusion CNR/CSR est enfin conclue le 8 juin, sous la supervision de leur tutelle, la SASAC. La CRRC pèse 130 milliards de $ d’actifs (36 milliards de $ de chiffre d’affaires), n°2 mondial derrière GE. Cui Dianguo, son 1er PDG (un ancien de CNR), commente qu’avec CRRC, un modèle a été créé qui sera dupliqué dans les fusions à venir.
Tel que décrit précédemment en nos colonnes, l’objectif est d’enrayer la guerre des prix et de vendre à prix imbattable tout matériel roulant, du TGV au train à minerais, de l’Afrique à l’Amérique Latine en passant par l’Asie ou le Royaume-Uni. Les perspectives sont fortes : ce sera un des outils-majeurs du nouveau concept national des « Routes de la soie » d’exportation des surplus et biens d’équipement chinois. La Chine offrira aux pays partenaires l’infrastructure, le montage et le financement.
Seuls échappent encore quelques segments tels l’intégration (train, mer, air, métro, route), certaines pièces de TGV et la signalisation, apanage provisoire de ténors – Siemens, Alstom, Hitachi. Ce dernier reprenait d’ailleurs en février la branche « signalisation » de Finmeccanica (Italie) : la concentration mondiale se met en branle.
Le jour du lancement, CRRC prenait 10% en valeur en bourse de Shanghai (le maximum réglementaire), 4,5% à Hong Kong. Cet affolement de la bourse fait aussi partie du plan de l’Etat pour faire recapitaliser par l’épargne privée des consortia publics très endettés. La bourse de Shanghai, où s’échangent surtout ces valeurs publiques, a vu sa capitalisation s’envoler de 146%, en 6 mois, l’équivalent d’une bourse de Tokyo, frisant la barre des 10.000 milliards de dollars. « Toute la question, déclare Shen Jianguang, analyste chez Mizuho, est de savoir si cet emballement boursier surprise n’est qu’une pure bulle, ou bien une promesse de relance industrielle ». Manifestement, le régime, au plus haut lieu, a parié sur le second scénario.
Cependant, les profits des firmes publiques, s’érodaient de 5,7% de janvier à avril, à 114 milliards de $ – piètre bilan considérant leurs atouts en main – monopole du marché, des crédits, des licences, des brevets. Le pire secteur était la métallurgie : aciers et non-ferreux voyaient leur dette, à 2,2 milliards de $, croître de 117%.
La recapitalisation des consortia peut servir aussi à liquider la petite concurrence privée ou publique en métallurgie, charbon et énergie.
On voit aussi, mais plus rarement, des alliances Privé-Public, en fonction d’intérêts locaux. Par exemple, l’Etat veut résorber les capacités sidérurgiques excédentaires, mais le Shandong veut valoriser ses atouts maritimes pour passer leader d’une aciérie d’avenir, propre et sur l’eau, tout en laissant fermer la sidérurgie obsolète et polluante de l’intérieur. Aussi entre Shandong Steel et le privé Rizhao Iron & Steel (20 millions de tonnes par an de capacité), il crée une JV à 67%/33%. On voit aussi CNCG (China National Coal) démentir tout projet de fusion avec l’autre géant public Shenhua, mais s’allier avec Gold Ocean, important charbonnier privé du bassin minier du Shanxi. CNCG crée aussi, à Shanghai, une JV de distribution avec Greenland, développeur immobilier et fournisseur de houille et de pétrole.
La concentration des consortia doit aussi servir d’antidote au scénario -désagréable aux classes dirigeantes – d’une privatisation complète. Pour autant, elle n’est qu’un pan de la réforme – le moins probant.
Parmi d’autres actions en cours figurent :
– La poursuite de la campagne anti-corruption. Cet été, 6 filiales de Sinopec vont voir leurs livres de comptes passés au peigne fin par les inspecteurs de la CCID, police du Parti, faisant suite à la mise sous enquête de Wang Tianpu, CEO du groupe. Signal que les grandes entreprises d’Etat, pas plus que les étrangères, ne sont plus censées ignorer la loi.
– Les consortia déficitaires doivent tailler dans les salaires, primes et dépenses de fonction, et rémunérer à la performance—une mesure parmi la liste préconisée par la SASAC. Ils doivent aussi « se tenir prêts » à fermer leurs départements « dans le rouge » depuis des lustres.
-Velléité de mettre fin au népotisme dans la direction des consortia ? Li Xiaolin, fille de Li Peng, 12 ans CEO du groupe électricien CPI, n’est pas reprise à la tête du groupe fusionné en SPI, devenu n°3 du nucléaire.
– Deux séries de règles se préparent pour poser des limites à la protection de la propriété intellectuelle et aux monopoles qui en découlent.
Les règles concernent les industries de l’information, les télécommunications, l’équipement médical, l’automobile, les semences agronomiques et autres secteurs à forte technologie. Il s’agit d’empêcher les détenteurs de brevets d’étrangler leurs rivaux. Ces lignes directrices de la NDRC couvriront les ententes de partage de brevets, l’abus de position dominante, et les concentrations (cartel).
Pour conclure, Pékin a renoncé à son concept initial de privatiser les consortia, et a opté pour les forcer à un management plus dynamique. La formule suffira-t-elle à mettre un terme à 60 ans de privilèges absolus de ces industries publiques, et à dégager les fonds pour financer l’ambitieuse vague de nouvelle urbanisation, clé de la relance ? Qu’il soit permis d’en douter.
Sommaire N° 23 (XX)