Economie : La fin du plus vieux monopole : le sel

Dans les années ‘40 au Nord de la Chine, les troupes de Mao, entrant dans les villes et villages, étaient accueillies avec joie : elles les affranchissaient de la gabelle, taxe exorbitante sur le sel, au profit de l’Etat KMT de Chiang Kai-chek.

Or, voilà que la NDRC, le « chef d’orchestre » de l’économie chinoise annonce la fin de cet impôt possiblement le plus vieux du monde, prélevé par toutes les dynasties depuis 2600 ans. C’est au nom de cette taxe que Li Bing, gouverneur du Sichuan au I. siècle avant JC, avait imaginé de forer le sous-sol pour accéder aux nappes de la précieuse saumure, jetant sans le savoir les bases des technologies modernes d’extraction pétrolière.

En 1950, la jeune révolution socialiste n’avait guère perdu de temps pour rétablir la gabelle, qui entrait cette année-là pour 5,5% dans sa recette fiscale. La China National Salt Industry Corp (CNSIC) voyait le jour, monopole du marché, avec double fonction de régulateur et de commerçant en gros. En 1987, elle produisait 18 millions de tonnes de sel. En 2011, elle en faisait 90 millions (premier producteur mondial), et avec 48.500 employés, contrôlait un parc saunier (mines, salines, usines) d’une valeur de 7 milliards de $. Neuf dixièmes de sa production va à l’industrie – faute d’être consommable. Seuls 20% viennent des marais salants de l’océan.

Il ya une dizaine d’années déjà, la loi du sel avait été remaniée pour renforcer les privilèges de la CNSIC –sous prétexte d’imposer au sel de table un taux en iode, dont la carence peut causer goitres et déficit intellectuel. Depuis lors, la CNSIC était seule habilitée à faire franchir au sel les frontières des provinces, et à vendre, en gros ou en détail. En février 2013, même Taobao, Dangdang et JD.com avaient été obligés de retirer le sel de leurs rayons virtuels. La CNSIC défendait ainsi ses privilèges bec et ongles, par l’entremise de ses Bureaux du sel, présents dans chaque canton.

Pour combattre ce monopole, depuis 2004, une mobilisation toujours plus forte s’était constituée à la base, avec des milliers de PME et centaines de milliers de petites gens, étouffées par ce carcan discriminatoire. Situées en amont du circuit de production, ces firmes et villages séchaient, concassaient, raffinaient le sel, l’emballaient et le chargeaient en iode. Elles faisaient l’essentiel de l’ouvrage, mais la CNSIC empochait  le profit en imposant un prix de vente, proportionnellement trois fois plus cher qu’à l’étranger !

Elle s’enrichissait aussi par des pratiques inavouables. Elle attribuait ses quotas de production contre des bakchichs, souvent additionnés d’une obligation de reverser une partie de la recette. Tout contrevenant était déclaré illégal, et dissous. Elle forçait aussi les firmes de sel de table, à additionner jusqu’au triple de la dose normale en iode, qu’elle fournissait.  En 2013 à travers le pays, plusieurs cas de cancers de la thyroïde furent signalés de ce fait. Enfin, elle imposait fréquemment le changement des emballages, toujours plus chers…

Toutes ces spoliations nuisaient au développement du secteur, qui restait technologiquement arriéré : en 2009 selon une étude, le rendement en sel gemme était 4 à 8 fois inférieur à celui des nations européennes. Pour le sel marin, l’écart était du décuple. Un autre indice d’une dysfonction du marché, était la prévalence des fraudes : du sel industriel qui se voyait plus souvent qu’à son tour substitué à du sel de table, en des contrefaçons plombées en nitrites, arsenic et métaux lourds, avec de lourds risques de santé.

En octobre 2014, un certain Huang, tenancier d’une gargote à nouilles dans le Henan, s’était fait contrôler transportant une demi-caisse de sel destinée à son restaurant de Zhengzhou, chef-lieu provincial. Le produit avait été confisqué et il avait été verbalisé de 200 yuans. Mais le scandale qui s’en était suivi avait été tel que les ronds-de-cuir durent faire ce geste rare : s’excuser devant les caméras de télévision, et de rendre au restaurateur son argent et son sel !

Dernière conséquence : la très faible diversité des produits salins de Chine – puisque la CNSIC ne faisait pratiquement pas de recherche et développement de nouveaux produits.

La corruption exceptionnelle de ce monopole a enfin convaincu l’Etat, en 2014, de programmer la fin du système. Enfin, la CNSIC perdra au 1er janvier 2017 son monopole de distribution et de fixation du prix, suite à une annonce le 5 mai. Dès l’année prochaine, les salines privées prendront donc de la valeur, avec la perspective de pouvoir se concurrencer, fixer leur prix et vendre hors de la province.

Cette dérégulation, enfin, n’est pas qu’à usage interne –et la CNSIC sera loin de tout perdre sous le nouveau cadre. Dès 2014, Morton, le groupe salin multinational de Chicago avec la branche shanghaienne de CNSIC, a créé une JV comprenant une usine d’emballage. Morton va renforcer ses exportations vers la Chine de produits salins raffinés dont elle manque : adoucisseurs d’eau, sels de bains, sels parfumés de cuisine notamment. C’est donc aussi, pour la Chine, la redécouverte de ce plus vieux produit du monde, et pour les entreprises étrangères, la chance de placer ses produits traditionnels, du sel à la truffe, à la fleur de sel !

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