Blog : Vol au-dessus de Hong Kong et Macao

Un mystère français L’affaire Marc Fonbaustier est un grand mystère, ce consul général de France qui a été rapatrié de Hong Kong avec femme et enfants le mardi 24 novembre, sous une procédure d’enquête. ll aurait été frappé pour une faute ridicule, avoir volé deux bouteilles de vin à 500 euros pièce dans un select club de la ville, et tenté de les sortir, « cachées dans son pantalon ». Il les aurait remboursées. Il aurait agi sous l’effet de l’ébriété, et serait en aveu. Mouais. Pantalonnade, sortie de scène en genre galipette, qui m’apparaît plutôt improbable, de la part d’un haut serviteur de la République. Est-ce vraiment tout ce qu’il y avait à dire sur la péripétie?  

  L’affaire me fait penser à une scène d’un roman de Soljenitsyne, « le premier cercle », je crois. Dans Moscou des années ’70, un apparatchik jeune et bronzé jouit pleinement d’une vie de privilèges : grand appartement au cœur du quartier historique, voiture avec chauffeur, datcha et vie de patachon. Et puis un beau matin, le KGB débarque et l’emmène, sans tenir compte de ses protestations. Embastillé à la Lioubanka dans un cul de basse fosse, notre dandy devine à quoi il doit sa disgrâce : à une délation pour intelligence avec l’ennemi. Pour ses  amitiés occidentales par insouciance et légèreté, pour avoir trop présumé de ses appuis au sommet de la nomenklatura et s’être cru au-dessus des lois et usages soviétiques. Soljenitsine lui fait réaliser à un moment très précis sa chute irrémédiable dans un enfer sans porte de sortie: quand ses geôliers lui retirent ses caleçons longs de soie, qui lui permettaient de rester au chaud sans prendre la ligne emmitouflée et de conserver sa sveltesse aristocratique, se distinguant ainsi de la plèbe russe. L’ablation du caleçon traduit celle du statut privilégié. C’est aussi efficace que le bannissement par Dieu d’Adam et d’Eve, hors du jardin d’Eden. Adieu donc, villa de fonction, chauffeur, image du détenteur du pouvoir de de son pays.

 

 

 

 

 Une ballade hong kongaise : A mon arrivée à Hong Kong, la semaine passée, la ville tout comme Macao était en train de déployer ses décorations de Noël. Ce qui leur permet de sacrifier à une mode très populaire en Chine – forme d’exotisme inversé, et tribut payé à l’Occident qui fascine autant l’Orient, que vice versa. Noël en Chine est sans doute une fête un peu moins religieuse et plus matérialiste qu’en Europe (et encore – pensez aux messes basses du curé d’Alphonse Daudet, accélérant sa cérémonie pour faire advenir plus vite le réveillon)…

 

J’ai habité le quartier de Lan Kwai Fong, juste derrière central. Ce très agréable et vivant quartier combine les restaurants imaginatifs sans être d’un coût exorbitant (comme le « Habibi », café égyptien de la rue Wellington), les boutiques surprenantes (comme cet antiquaire offrant des défenses de mammouth de 2m de long, ajourées et ouvragées d’un kitch fini) et les hôtels bon chic bon genre, avec vue sur la mer. Le mien, le Lan Kwai Fong-Kau U Fong était petit et étroit, mais tout en hauteur, comme la plupart des immeubles sis sur cette colline aux âpres déclivités. J’imagine un carré de 15 par 15m, ce qui est ridiculement exigu pour un hôtel. Il était pourtant confortable et bien aménagé, et finalement assez important, du fait de ses 5 chambres par plus de 30 étages. Je me suis fait la réflexion que ce Hong Kong vit toujours de l’optimisation du service, du fait de travailler mieux que ses voisins en exploitant la valeur ajoutée des libertés individuelles, source de créativité que la Chine n’a pas. D’autre part, ce Hong Kong, véritable petit miracle pour qui vient de Chine, avec ses populations bigarrées et si expressives (non complexées), n’apparaît pas stressé contrairement aux villes chinoises. Et 13 ans de souveraineté chinoise succédant à la britannique, ne lui ont fait changer ni de règle, ni de génie propre. Il continue à flotter sur l’eau de son pragmatisme, de son imagination et de l’apport permanent des meilleures idées du monde, véhiculées par l’étranger, et de la rage de régler les problèmes, plutôt que de les balayer d’un coup de campagne idéologique. 

 

 

 Gamberge macanaise: A Macao, le spectacle était tout différent. Imbriquées les unes dans les autres, coexistaient trois villes bien reconnaissables : la chinoise-macanaise de toujours (assez semblable à Hong Kong), la portugaise sublime et antique avec ses palais, patios, jardins, églises, et restaurants de morue aux mille recettes, cachés dans les recoins des « ruas », « avenidas » et « travesas », toutes signalées par des enseignes en « azuleiros » carreaux de faïence bleu et blanc . Tandis que la troisième, la plus rutilante et tonitruante était celle des casinos sino-américains regagnés sur le front de mer, le Wynns Venice, le Grand Lisboa, tous rivalisant de taille et de bruit et de luxe promis. Las Vegas en goguette asiatique, rivalisant avec les patriciens locaux.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans les deux casinos que j’ai visités (deux des trois au bas de mon hôtel), la foule était finalement plutôt clairsemée autour des tables de roulette et de black jack. Pas vraiment une surprise : tout était exclusivement en chinois, courtiers y compris, importés de Canton ou de Shanghai pour accommoder les 18 millions de visiteurs de cette année. Les enjeux étaient petits, de 2 à 300 yuans la mise, à 2 à 3000 aux passes les plus fortes que j’ai pu voir. Je déambulais de table en table, conscient du regard des caméras fixées sur le seul étranger du soir, en train d’activer leur logiciel de reconnaissance faciale connecté à la base de données des casinos mondiaux, en quête de mon identité…

 

 

Venus par groupes, les gens étaient studieux, appliqués, probablement à décrypter les règles très complexes du jeu et à suivre les phases que poursuivait le croupier à rythme d’enfer : déployer les jetons sur la table, distribuer les cartes (que chaque joueur, de 2 à 4, regardait avec luxe de précaution méfiante, tordant et détruisant la carte pour s’assurer d’être le seul à prendre connaissance de sa valeur), puis une fois les jeux abattus, distribuant les enchères gagnantes et encaissant les autres jetons à l’aide d’un petit rateau. 

 

 

 

 

 

Quoiqu’un bar soit présent au fond de la salle, presque personne ne consommait – histoire de se donner une chance de gagner. Et par rapport à ma dernière visite 12 ans en arrière, le casino manquait de ces filles aux regards de chattes, venues couver les gagnants. Peut-être parce que de gagnants, il n’y avait pas, ou pas qui vaillent le déplacement. Un ami portugais de l’agence Lusa m’a pourtant assuré le lendemain que les filles étaient bien là, venues de Chine pour s’enrichir. Elles étaient invisibles, car le vrai spectacle était ailleurs, dans des cryptes où le commun des mortels n’était pas admis. Là, les jeux  commençaient à 10.000 dollars et la caisse en fin de nuit, comptait 5 millions, tout en ayant redistribué en moyenne 97% des jeux, élégant moyen de blanchir l’argent sale. 

 

 

 

 

 

Ma chambre était immense, remplies de meubles de marquetterie d’un décourageant rococo, dotée d’un téléviseur à écran plat d’un mètre carré. J’oublie le baldaquin, le canapé-bergère et la crédence. 

 

 

Guidé par le GPS de mon I-phone, je me suis offert le lendemain une promenade, du centre historique jusqu’à la Avenida da Republiica, bordant le lac réservoir d’eau douce de la ville. Ce n’étaient que villas coloniales, églises et hôtels de maîtres oubliés par les siècles, loin des artères commerciales du bas de la ville. Voyez les photos : voyage dans ces siècles de rencontre Est-Ouest d’avant le capitalisme, qui me fit éviter le Macao tapageur et joueur, dépensier et sans culture que vendent aux chinois les groupes  de Las Vegas. Cela dit, en vendant ainsi  15% de leur âme, les Macanais ne perdent pas tout : en 2010, la ville aura amassé un chiffre d’affaires de 18,5 milliards d’euros, en hausse de 56% sur un an. En pleine crise mondiale. Ils ne sont pas à plaindre !

 

 

 Ceci est un hôtel, très cher ! un simple lieu  pour offrir à son corps quelques heures de repos nocturne. 1000 chambres, toutes plus proches de la suite impériale que de la simple carrée où passer la nuit. Ce que d’ailleurs personne ne fait : la nuit se passe dans l’un des casinos, derrière l’un des centaines de tapis vert de la ville…

 

 

une église parmi tant d’autres, témoins du fait que Macao fut abordée en premier, en 1595 par saint François-Xavier…  qui n’y aborda pas, mais mourut des fièvres, sur l’île voisine de Coloane. Macao est un musée vivant, d’une magnificence rare, témoignage non d’agression coloniale occidentale, mais de mariage Est-Ouest et de legs.

 

 

 

 

 

 

 

 

rue commerçante de Macao – comme à Lisbonne ou Porto, caractères chinois mis à part…

 

Au Grand Lisboa, les galeries présentaient en vitrine les plats chinois les plus chers du monde, les pinces de crabe dépiautées, les tranches d’abalone ou d’holothurie. Bardées de diamants, les montres Cartier rutilaient face aux Vacheron-Constantin à 2000 dollars (US) pièce, non loin des plus fins costumes de drap italiens, de la bijouterie et joaillerie fine. Tout cela était les tentations du temple de Mammon, pour ceux qui gagneraient, à qui l’argent (les jetons) brûleraient les doigts, ou qui voudraient remercier les Dieux par d’immédiates agapes : les lieux offerts pour craquer leur butin. 

 

Hong Kong et surtout ce district côtier de l’île, vit en forte densité humaine. L’espace est rare et cher. Elle compense par une activité commerciale et de services très développée. Le nombre d’emplois, et de choses à acheter est maximal. Sur ses surfaces exigues, d’un aménagement très poussé, des centaines de boutiques se succèdent aux étals de marché, offrant toutes les marchandises de la terre, des plus utilitaires aux plus inattendues, canards laqués accrochés aux fenêtres, lampions suspendus en série à travers la ruelle, marchés de légumes, fruits, viandes et poissons d’une présentation plus soignées qu’en Chine, quoiqu’ils en viennent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 ici : boutique de lampions sur Lan Kwai Fong,sur une pente à 20 degrés

 

 

 

 

 

  et ces préposées au nettoyage universelles sur le « rocher », poussant leurs charrettes à déchets

 

 

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   Tout cela est aussi perdu pour Marc Fonbaustier. A jamais. Sauf si…

 

 

  Marc Fonbaustier, dont le destin rappelle El Desdichado de Gérard de Nerval, « je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, le chevalier du ciel à la tour abattue… »

 

 

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