Ce samedi 15 janvier, à Taiwan, on savait le Kuomintang (le parti au pouvoir) en bout de course, mais l’ampleur du désastre a pris le monde entier par surprise. En effet le DPP, son rival indépendantiste, a emporté 56% des voix aux présidentielles, assurant ainsi le poste suprême à Tsai Ing-wen, la leader du Parti d’opposition. Aux législatives, qui se tenaient en même temps, le DPP emportait même la majorité, 62% du “Yuan législatif”, assez pour passer n’importe quelle loi, voire même assez pour amender la Constitution. Comment en est-on arrivé là ? Depuis 2011, la cote du Président Ma Ying-jeou était très basse. 80% des habitants lui reprochaient la rareté des emplois, le coût de la vie et de l’immobilier, et le rapprochement imperceptible à pas feutrés vers la Chine, sous prétexte de croissance économique. Ma était soupçonné de chercher à rattacher Taiwan à la Chine, sans l’accord de la population, et cela était impardonnable. Les statistiques sont claires : aujourd’hui seuls 3,3% des insulaires sont prêts à un rattachement immédiat et sans conditions. Et pourtant, cette réunification pour le KMT, c’est la terre promise, inscrite dans sa charte. C’est aussi un parti n’ayant pas oublié ses origines chinoises et ayant peu la fibre taiwanaise. A en croire le professeur australien Bruce Jacobs, ils parlent peu le Hokkien (langue vernaculaire de l’île), et se comportent en classe dirigeante « arrogante et incompétente ». Aussi la débâcle électorale du KMT place ce parti au bord de l’abîme : avec son image et sa réputation au plus bas, il va devoir pour remonter la pente, recruter des jeunes et surtout, renoncer à sa croisade vers la Chine. Faute d’un tel effort, le parti fondateur de Taiwan risque rien de moins que la disparition.
L’autre grand perdant est la Chine : depuis 2008, elle investit chaque année en milliards de $ dans la prospérité de l’île, dans l’espoir de rallier les coeurs. Elle y envoie 35 000 étudiants, et 3 à 5 millions de touristes annuels. Aussi aujourd’hui le vote de défiance de la population taiwanaise est une grande déception, couplée à l’angoisse de voir l’île, oser sauter le pas de cette indépendance inacceptable. Ce risque cependant, est invraisemblable. Dès son discours de victoire, Tsai Ing-wen prenait les devants pour rassurer Pékin, son parti honorerait le “statu quo” de 1992, reconnaissant qu’il n’existe qu’une seule Chine, dont chaque rivage du détroit détient sa propre interprétation. En même temps, elle rappelait la nature démocratique de son « pays » (un terme assuré de hérisser la Chine) et son droit à être traité avec « dignité » et « d’égal à égal ».Comment ces frères ennemis trouveront-ils un terrain d’entente à l’avenir ? La Chine va-t-elle brusquer et isoler l’île, ou bien chercher à accommoder davantage, organiser une réunion au sommet, voire une rencontre entre Xi Jinping et Mme Tsai, comme cele qu’il a eue avec Ma Ying-jeou en novembre dernier, à la surprise générale ? Quoiqu’il arrive, aucune solution n’apparaît plausible à court terme. En attendant, le tout nouveau pouvoir se prépare déjà aux challenges qui l’attendent. Comment diversifier l’économie avec le reste du monde, sans perdre les bénéfices de la coopération chinoise ? Au moins dans ce nouveau départ, le Taiwan du DPP et de Tsai Ing-wen a les meilleurs atouts possibles : une main solide sur le Parlement et l’exécutif, l’étonnement du monde, la confiance, et le fait pour Tsai d’être une femme, la première dans l’histoire du régime – plus fine et prudente, et plus à l’écoute que ses prédécesseurs.
Sommaire N° 2 (2016)