Petit Peuple : Huludao (Liaoning) – Gao Xiaodong, le Bouddha des chiens

A Huludao, dans la province du Liaoning, Gao Xiaodong n’avait pas eu la vie facile. A 20 ans, fuyant la misère, il était parti vers la capitale dans l’espoir d’y trouver un gagne-pain. Là-bas, il avait pris tous les petits jobs qui s’offraient à lui, et fut tour à tour assistant coiffeur, garçon de salle ou livreur. En 2002, alors vendeur en porte-à-porte, il avait assisté à une scène qu’il n’oublierait pas de sitôt : le client qu’il venait de quitter quelques minutes plus tôt venait de sortir dans la rue, suivi de son pékinois dont l’arrière-train paralysé reposait sur un genre de planche à roulettes. Loin d’être gêné par le dispositif, le chien avançait fièrement sur ses deux pattes avant, haletant de bien-être. La scène avait ému Xiaodong qui, depuis l’enfance, adorait les animaux.

En 2004, il décida finalement de retourner à Huludao : ses parents venaient de lui trouver une épouse, Fu Lijuan, et la fête de mariage devait s’y dérouler prochainement. Depuis son départ, ce pauvre bourg de province, avec ses 2,7 millions d’âmes, s’était mué en un puissant poumon industriel. Après son mariage, Xiaodong trouva un travail dans une fonderie étatique qui lui assurait au moins un fiable salaire mensuel – une chance que bien des amis lui enviaient. Mais lui-même maugréait, s’ennuyant ferme dans les bureaux de l’usine. A la maison, il passait son temps libre à rechercher des opportunités pour se mettre à son compte, et pouvoir s’adonner à ce qui le passionnait vraiment : les animaux de compagnie. 

Un jour, alors qu’il surfait sur internet, il tomba sur une annonce d’une firme coréenne qui proposait des fauteuils roulants pour animaux mutilés. Et là, en un éclair, lui était revenue la scène du bâtard joyeux sur sa planche à roulettes. Son sang ne fit qu’un tour : le soir-même, avec son épouse, ils bricolèrent leur premier prototype, à partir d’un cageot, de fil de fer, de roulettes et d’une paire de patins éculés. Dès le lendemain à l’aube, ils attirèrent un chien boiteux qui venait quotidiennement se repaître de leurs restes. Confiant, l’animal se laissa harnacher de l’appareil spécialement dessiné pour son infirmité. L’engin branlant n’était pas fait pour inspirer la confiance – et pourtant, le médor s’en fut guilleret, suivi par le couple émerveillé de l’immédiat succès. Dans la foulée du chien, Gao décida illico d’abandonner sa place en usine pour se consacrer à cette voie nouvelle ! 

Apprenant sa décision, ses parents s’irritèrent grandement, pensant que le fiston était tombé sur la tête. De fait, les débuts en 2008 s’avérèrent difficiles – les premiers modèles ne se vendirent qu’au rythme d’une demi-douzaine par mois, à deux ou trois cents yuans pièce. Il n’y avait là pas de quoi faire bouillir la marmite. 

Et pourtant, les années suivantes virent changer la fortune de Xiaodong. De bouche à oreille, sa notoriété s’était étalée comme des ronds dans l’eau à travers la province. Des gens, désespérés par la vieillesse difficile de leurs chiens ou chats, étaient prêts à payer rubis sur l’ongle pour améliorer leur quotidien. Tel fut le cas de Mme Wei Lijun, quinquagénaire de Shanghai qui ne dormait plus, se faisant constamment du mouron pour Fufu, son fidèle compagnon canin depuis 19 ans. A son AVC, il avait survécu, mais restait depuis inerte dans son panier, tentant parfois de se trainer sur ses pattes avant indemnes. A la solution préconisée par tous, la piqure, Mme Wei refusait de se résoudre. Et voilà que sur internet elle découvrait qu’elle pouvait commander un kit de déplacement canin, la solution miracle, pour à peine 630 yuans. Après avoir déballé fiévreusement l’appareil contenu dans le colis, elle avait découvert un justaucorps élégamment cousu, qui semblait taillé sur mesure pour son petit chéri. Ajustant les sangles à la taille du canidé, elle le vit soudain se lever, ce qu’il n’avait plus pu faire depuis trois mois, s’ébrouer, et puis se diriger vers la porte d’entrée, réclamant impérieusement sa promenade ! 

Depuis, Gao avait vu son affaire grandir, et son chiffre d’affaire exploser. Dans son atelier mécanisé, avec ses huit employés, il sort désormais 4 000 engins roulants pour animaux par an, dont 1 000 destinés à l’exportation. 90% des harnais ou chariots sont destinés à des chiens, du chihuahua au labrador, et 9% à des chats. Mais son offre répond également à des besoins spéciaux pour tout ce que la terre compte d’espèces domestiques à quatre pattes : lapins, tortues, cochons, voire chèvres ou chevaux. 

Le secret de sa réussite est lié à un tumultueux changement de sensibilité des Chinois vis-à-vis des animaux de compagnie. A mesure qu’ils vieillissent, ou qu’ils s’éloignent de leur famille pour chercher de meilleures opportunités, ils réalisent leur solitude, et la combattent en se dotant d’un compagnon à poils dont la fidélité aveugle leur est éternellement garantie. Et le marché progresse à une vitesse folle : les foyers chinois abritant chien ou chat sont désormais 100 millions, en hausse de 44% en 5 ans. Le commerce de l’animal de compagnie en Chine atteignait l’an dernier 24 milliards d’euros, et le marché de la « mobilité animale » a progressé de 40% en 2018.

Ce nouveau contrat entre l’homme et la bête, fait donc la fortune de Gao Xiaodong, qui dispose du quasi-monopole des « chaises roulantes » pour compagnon à quatre pattes en Chine. Ce succès, Xiaodong le mérite amplement (有劳得奖 yǒu láodé jiǎng) mais ce dont il est le plus fier est de pouvoir rendre, par son travail, un peu plus belle la vie de milliers d’animaux chaque année.

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1 Commentaire
  1. severy

    Voilà qui ravira les membres cacochymes du Parti en mal d’engins ad hoc résolvant leurs problèmes de mobilité réduite.

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