Ces derniers jours, le gouvernement ambitionne de traiter le mal à la racine en accélérant l’adoption de deux nouvelles lois. Le 14 février, le Président Xi Jinping appelait à « mieux protéger la faune » : entendez, durcir la loi à l’encontre de consommation (et du commerce illégal) d’animaux sauvages, soupçonnée d’être la cause de l’épidémie actuelle. Il soulignait également l’importance d’améliorer le mécanisme de prévention épidémique, notamment par le biais d’une nouvelle loi sur la biosécurité. Les deux sont indirectement liées.
Pourquoi la Chine semble-t-elle plus sujette aux zoonoses (maladies animales transmises à l’humain) que d’autres pays ? Les experts identifient deux facteurs : une forte densité urbaine combinée à un aspect culturel (habitudes alimentaires). C’est pour cette raison que le Comité Permanent de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP), présidé par Li Zhanshu, n°3 du pays, va revoir le 24 février le ban temporaire de la vente d’animaux sauvages dans les marchés, restaurants et sur internet, décrété à la hâte le 26 janvier. En trois semaines seulement, 700 personnes ont été condamnées pour ce délit et 40 000 bêtes ont été saisies (écureuils, belettes, sangliers…).
En effet, il est courant de consommer de tels mets (viande d’âne, de chien, de chevreuil, de crocodile ou de tortue) ou d’en faire cadeau à ses partenaires d’affaires, devenant des symboles de distinction sociale. Ces ingrédients sont également très prisés en médecine traditionnelle chinoise (TCM), tels que les écailles de pangolin (potentiel animal « hôte » du COVID-19), la vésicule biliaire d’ours, ou la corne de rhinocéros (dont la demande est en plein boom depuis l’épidémie, car elle est censée réduire la fièvre). Ajoutez à cela un brin de superstition (un des caractères qui forment le mot « chauve-souris » est un homophone du mot « bonheur »), et vous avez la recette d’une coutume qui traverse les siècles !
Cette fois, le régime semble déterminé à prendre des mesures fermes, avec le soutien d’une large partie de la population, dont la jeunesse. La cause a en effet été rendue populaire ces dernières années par des stars comme le chanteur Jay Chou, les acteurs Jackie Chan (cf photo) et Liu Ye, associés à l’ONG américaine Wild Aid. Fin janvier, le hashtag « supportez l’interdiction des marchés d’animaux sauvages » était vu plus de 270 millions de fois sur Weibo. Le 21 février, un sondage en ligne réalisé entre le 28 janvier et le 14 février, révélait que plus de 97% des personnes interrogées étaient favorables à une interdiction totale du commerce d’animaux sauvages. Alors, étant donné le report probable de la session annuelle du Parlement (« lianghui ») début mars, le Comité Permanent de l’ANP pourrait accélérer le passage d’une motion pour une interdiction permanente. Cela lui éviterait de devoir obtenir un consensus des délégués pour amender le cadre légal existant. Une loi sur le sujet était adoptée dès 1998, puis revue trois fois, notamment en réponse au SRAS de 2003 et à la grippe aviaire H7N9 de 2013. Mais des lacunes subsistent : il n’y a pas d’interdiction totale de consommer des animaux sauvages, et leur élevage à des fins commerciales est autorisé. Dans les faits, l’Administration des forêts et des prairies (NFGA) n’émet des licences de vente que pour 54 animaux (dont grenouilles, civettes, tortues et crocodiles) et d’élevage de quelques espèces menacées comme les ours, tigres et pangolins, officiellement à titre de conservation. Dans la pratique, ces autorisations sont en fait des couvertures pour en faire un commerce illégal, ces animaux étant élevés pour finir dans les assiettes ou en TCM. Et les autorités locales ferment les yeux, permettant de faire vivre 6,2 millions de personnes (hors fourrure et cuir), principalement dans les communautés rurales. Ce business a donc une place importante dans la lutte contre la pauvreté. Un rapport de l’Académie chinoise de l’ingénierie paru en 2017, estimait le chiffre d’affaires de ce secteur à 19 milliards de $. La Chine est le premier marché mondial pour le commerce d’animaux sauvages. Pourtant, l’abolir pourrait entraîner une explosion hors contrôle des marchés noirs, comme cela avait été le cas lors d’une tentative d’interdiction après le SRAS. Cette situation serait beaucoup plus dangereuse que le risque que représentent les marchés comme celui de Huanan à Wuhan. Plutôt de les interdire catégoriquement et de les pousser vers la clandestinité, certains experts appellent simplement à mettre en place une réglementation plus spécifique (notamment en utilisant les noms scientifiques des espèces) et donner plus de moyens aux autorités pour faire respecter la loi, le tout couplé à des campagnes de sensibilisation pour décourager les consommateurs. Mais, vu le tollé provoqué par l’épidémie, le pouvoir semble déterminé à avoir la peau de ces marchés… C’était finalement chose faite le 24 février. Le Comité Permanent de l’ANP décrétait une interdiction, avec effet immédiat. Une décision saluée par les associations de défense des animaux.
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L’autre loi en préparation, concernant la biosécurité, ne sort pas non plus du chapeau. Depuis la dernière session du Parlement en mars 2019, le Comité Permanent de l’ANP en avait fait une de ses priorités, probablement poussé par les récents scandales des vaccins frelatés, des bébés génétiquement modifiés, et l’épidémie de fièvre porcine. En juillet dernier, Li Zhanshu s’impatientait, appelant à accélérer les préparatifs. Finalement, un projet de loi de 75 articles était soumis le 21 octobre, abordant huit aspects : la prévention et le contrôle de maladies infectieuses (humaines, animales, ou végétales) ; la R&D des biotechnologies ; garantir la biosécurité dans les laboratoires (un appel réitéré le 15 février par le ministère de la Science et de la Technologie) ; sécuriser les ressources biologiques et génétiques chinoises, protéger la biodiversité (objet d’une conférence de l’ONU organisée à Kunming en octobre 2020) ; la résistance aux antibiotiques ; la prévention d’attaques bioterroristes ; la défense contre la menace d’armes biologiques…
Pourtant, il existe déjà une loi sur la réponse d’urgence et une autre sur la prévention et le traitement des maladies infectieuses, détaillant toute la marche à suivre, de l’annonce jusqu’à la gestion d’une épidémie. Le 18 février, le magazine Caixin s’interrogeait : « s’il existe déjà un cadre juridique et que les autorités l’ont suivi à la lettre, pourquoi en est-on arrivé là » ?
Post-SRAS, un réseau national de centres de contrôle épidémiologique (CDC) ainsi qu’un mécanisme d’alerte, avaient été mis en place. Lorsqu’un cas de maladie infectieuse est découvert, la clinique ou l’hôpital doit le déclarer sur une plateforme en ligne, sur laquelle le CDC national est connecté. Si le nombre de cas recensés dépasse les cinq, alors le CDC national envoie une équipe sur place pour conduire une enquête épidémiologique, et collecter des échantillons. C’est ce qui s’est passé lors du COVID-19. Mais « suivi en temps réel » de la maladie ne veut pas dire « décisions et annonces en temps réel ». En effet, les scientifiques du CDC ne font que rassembler, analyser les données, et émettre des recommandations, l’entité ne dispose d’aucun pouvoir de décision. Selon la loi, seule la Commission Nationale de Santé peut déclarer une épidémie et dévoiler des informations au public : les autorités provinciales ou locales ne peuvent le faire qu’après en avoir obtenu l’autorisation. C’était la défense du maire de Wuhan, déclarant « avoir attendu les instructions venues d’en haut pour agir ». Par contre, les pouvoirs locaux sont en droit de publier des avertissements au sujet d’une potentielle épidémie – ce que la Commission de Santé de Wuhan faisait pour la première fois le 31 décembre. Dans une interview accordée au Global Times, le chef du CDC national, Zeng Guang (cf photo), affirmait que la lente réponse à l’épidémie est en partie liée à l’hésitation des décisionnaires. Avec tact, Zeng rappelait que les autorités compétentes doivent non seulement prendre en compte l’aspect scientifique, mais aussi celui politique, la stabilité sociale, l’économie, et veiller à la satisfaction de la population pendant la période la plus importance de l’année, le Nouvel An chinois. « Mais selon moi, sur des sujets si importants, il faut adopter une approche plus scientifique, car si nous ne le faisons pas, il serait vain de prendre en compte les autres aspects ». Manière détournée de dire que tant que la santé publique sera assujettie aux objectifs politiques et intérêts du Parti, la réaction épidémiologique sera ralentie.
Même si la gestion d’une épidémie représente un challenge de taille pour les gouvernements du monde entier, la large campagne anti-corruption lancée par Xi Jinping, frappant les « mouches comme les tigres » (petits cadres comme hauts dirigeants) n’a pas encouragé la prise de décision, bien au contraire. Craignant de faire des vagues, les cadres préfèrent faire le pari de l’inaction, soit en cachant le problème, soit en attendant les ordres de l’échelon supérieur. Cette mentalité ne date pas d’hier, mais semble accentuée à tout niveau de la hiérarchie par l’omni-compétence du Président en tout domaine. Même les hauts dirigeants semblent craindre que leurs initiatives soient mal perçues au sommet et ne leur coûtent leur place… Dans ces conditions, une nouvelle loi de biosécurité traitera-t-elle vraiment la racine du problème ?
1 Commentaire
sinoptic
24 février 2020 à 17:41Concernant les soi-disant vertus de la corne de rhinocéros et son utilisation en MTC, il convient de rappeler que:
« Il n’existe toutefois aucune validation scientifique de telles vertus thérapeutiques. Mais ces croyances infondées favorisent une flambée de la demande de poudre de corne en Asie. (…) »
http://theconversation.com/cornes-de-rhinoceros-pourquoi-le-trafic-a-explose-75245
Le WWF ajoute: « L’étude (du WWF) ne trouve aucune preuve selon laquelle la corne de rhinocéros aurait un quelconque effet médical comme antipyrétique pour diminuer la fièvre, un usage très répandu en Asie. La corne est comme les ongles, en ce sens qu’il s’agit de cheveux agglutinés, et n’a pas de propriétés analgésiques, anti-inflammatoires ou anti-spasmolytiques. »
https://www.franceinter.fr/societe/pourquoi-les-cornes-de-rhinoceros-sont-si-convoitees
Il en va de même des écailles de pangolin et de la bile d’ours.