Editorial : La relance à marche forcée

Un mois après la mise en quarantaine de la ville de Wuhan, la Chine serait-elle sur le point de voir le bout du tunnel ? Outre plusieurs « clusters » de cas dans des prisons de cinq provinces (512 cas) et deux hôpitaux pékinois (36 cas à l’hôpital de Fuxing, et 250 personnes placées en observation à l’Hôpital du Peuple de l’université Beida), le nombre de malades hors Hubei enregistre une baisse continue depuis près de trois semaines. Au 21 février, 18 provinces n’en recensaient même aucun (Jiangsu, Gansu, Liaoning, Tibet, Mongolie intérieure…) ! Au Hubei, les chiffres chutent aussi, mais pas pour les mêmes raisons… Cette tendance « tombe à pic », puisqu’il faut absolument remettre le pays en marche. Les leaders provinciaux sont désireux de relancer la machine, mais les cadres locaux eux, sont plus réticents, craignant d’avoir à porter la responsabilité d’un nouveau foyer épidémique. Conscient qu’une solution unique pour toutes les provinces, villes, districts, quartiers, villages ne fonctionnerait pas, l’Etat encourageait les autorités locales à prendre leurs propres initiatives. Cela aboutissait à une cacophonie de règles, souvent prudentes, parfois confuses, et dans certains cas, plus qu’excessives, conduisant à des abus. Selon le New York Times, 760 millions de personnes étaient encore concernées par des restrictions aux déplacements mi-février. A Hangzhou, siège d’Alibaba, il faut montrer patte blanche en montrant son « code de santé » (vert, jaune, ou rouge) sur l’application Alipay (cf photo). Dans le Yunnan, il est requis de scanner un QR code à chaque entrée ou sortie d’espaces publics. A Nankin, le coronavirus est l’occasion de mettre le système de crédit social à contribution : en cas de mensonge sur son historique de voyage, de contact extérieur en se sachant contaminé, ou de propagation de fausses informations, la personne sera sanctionnée. Par contre, le personnel médical ainsi que les firmes contribuant à la lutte contre le virus, seront récompensés.

Côté entreprises, plus de la moitié des industries dans le Guangdong et le Jiangsu avaient repris leurs opérations au 19 février, selon la NDRC, tutelle de l’économie. Même constat à Shanghai pour 97% des entreprises classées dans le Fortune 500 et 93% des multinationales y ayant leur siège régional. Mais la prudence est de mise. A Chongqing, une usine du groupe Pangang était bouclée après avoir recensé trois cas de COVID-19 parmi ses ouvriers. 130 autres étaient placés en quarantaine dans un hôtel. A Pékin, tous les salariés de la compagnie de e-commerce DangDang étaient renvoyés chez eux après qu’une employée tombe malade. Ces deux exemples illustrent bien la difficulté de cette reprise : comment trouver un équilibre entre sûreté et productivité ? Comment se remettre au travail avec des employés manquant à l’appel, des problèmes d’approvisionnement, ou un manque de trésorerie ? Naturellement, ce sont les PME qui souffrent le plus. Selon un sondage réalisé début février par Tsinghua et Beida auprès de 995 d’entre elles, un tiers déclaraient pouvoir survivre un mois seulement dans ces conditions, un tiers deux mois, et 18% trois mois. Une autre enquête du site de recrutement Zhaopin révélait que 10% des firmes sondées étaient sur le point de fermer leurs portes, 30% prévoyaient des licenciements, et 30% ne pourraient pas payer leurs salariés à temps. Des chiffres « plus effrayants que l’épidémie elle-même », selon l’ex-maire de Chongqing Huang Qifan, actuel président du Comité des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale Populaire. Pour y remédier, Huang et 16 autres experts recommandaient d’augmenter le déficit fiscal à 3,5% du PIB, émettre pour 1000 milliards de yuans d’obligations, voire publier un chiffre de croissance pour le 1er trimestre en excluant l’impact du coronavirus pour redonner de la confiance (en plus du PIB habituel bien sûr). Le report probable de la session du Parlement leur laisse encore un peu de temps pour faire des ajustements… Zhu Ming, ancien vice-directeur du FMI, évaluait les pertes de janvier et février à 185 milliards de $, dans le tourisme et la consommation, sans compter le secteur automobile (dont les ventes chutaient de 92% les deux premières semaines de février). Chez Natixis, on table sur une croissance trimestrielle entre 2,5% et 4% selon la vitesse de reprise et les mesures prises par le gouvernement.

Pour le Président Xi Jinping, l’enjeu de cette reprise est grand. Elle pourrait compromettre ses deux sacro-saints objectifs pour 2020. Le premier vise à éradiquer l’extrême pauvreté d’ici la fin de l’année. Ils n’étaient plus que 5,5 millions à être concernés fin 2019. Or, cette épidémie frappe aussi les paysans, pénalisés par la fermeture des routes, et les migrants, coincés au village. Le second consiste à atteindre une « société de petite prospérité » sur la base du doublement du niveau de vie par rapport à 2010. Cet objectif ne sera pas atteint si le PIB annuel tombe en dessous des 5,6%. On le comprend, chaque semaine qui passe au ralenti éloigne un peu plus Xi Jinping de ses objectifs. Mais il ne fait aucun doute que le leader remuera ciel et terre pour arriver à ses fins.

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