Petit Peuple : Canton – Sept copines pour la vie (3ème partie)

Entre ces sept amies, tout est en place pour vivre ensemble le reste de leurs jours dans leur manoir à 70km de Canton, inauguré à l’automne 2019.

A l’achat de la résidence en février, toutes s’étaient mises d’accord pour préserver la vocation amicale et féministe de leur démarche : toutes leurs décisions d’avenir, tous leurs comportements devraient être compatibles avec la communauté, afin de préserver l’esprit du groupe, loin des enfants, maris et parents.

Cependant dès les premiers jours, ces belles résolutions connurent leur premier accroc : Pu exhiba Kolia, son nouvel amant demi-russe du Dongbei, qu’elle espérait imposer aux autres. Elle y avait bien droit puisque c’était elle qui avait trouvé le logis, au cœur de son village natal. Et puis, dans sa suite privative, elle pouvait bien faire ce qui lui plaisait, non ?

15 jours après, Duan à son tour, ramena un homme basané aux yeux de braise, et revendiqua, elle aussi, de l’installer dans leur havre. Immédiatement, Akaï fit les yeux doux à Nuo, la benjamine du groupe, qui ne resta pas insensible à son charme : entre elle et Duan, on était au bord de la guerre, et le club connaissait sa crise la plus grave.

Lan, la fondatrice du groupe, fit alors preuve de ses qualités de cheffe. Durant la semaine, Lan alla voir les autres membres du club pour envisager la contre-attaque et ensemble convoquèrent les rebelles. Yu prit la parole pour constater la menace d’explosion du groupe : Pu et Duan s’étaient laissées embringuer dans des « amourettes qui leur faisaient oublier leur devoir» (见色忘义, jiànsèwàngyì). Lan enchaîna pour dédramatiser : une telle crise constituait une étape normale, inévitable dans la croissance d’une jeune communauté. Ning enfonça le clou : « dans notre club, chacune de nous doit apprendre à rester libre et à tolérer la liberté des autres. Amitiés et amours doivent pouvoir être menées de front». Mei se leva alors pour proposer l’affinage des règles d’accès de la maison : sans l’accord du groupe, pas de nouveaux résidents (homme ou femme) plus de trois week-ends, ou huit jours d’affilée. Et pour conclure, Lan proposa un vote. C’était le moment pour les filles de choisir leur camp – le club, ou leur homme, quitte à partir.

Duan et Pu avaient écouté sans piper mot, têtes baissées. Médusées, sidérées, elles n’eurent pas besoin de longtemps pour se décider : Ie plus bel homme du monde ne valait pas leur club. Après le vote, toutes s’embrassèrent : la première crise de leur communauté s’achevait par son renforcement.

Avant de laisser les filles regagner leurs appartements respectifs, Lan reprit la parole pour lever les dernières zones d’ombre : quand viendrait le moment de la retraite, il allait falloir compter les unes sur les autres pour pouvoir mieux vivre ensemble, en  communauté. Chacune devrait donc se rendre spécialiste de quelque chose. « Ici, conclut-elle, distribuant un feuillet imprimé, j’ai imaginé quelques compétences dont nous aurons toutes besoin, et auxquelles nous allons pouvoir nous former».

Et c’est ainsi qu’à l’aube de la nouvelle année du rat, toutes se retrouvèrent avec des tâches à faire. Yu, la scénariste, scruterait au télescope le plafond nocturne d’étoiles, pour interpréter la voie lactée et les constellations. Elle lirait aussi l’avenir des membres, leurs chances et leurs risques en amour, en santé et en travail. Duan, la commerciale, tiendrait les finances du club, l’approvisionnement et les commandes par Jindong ou par Alibaba. Lan, la présidente, irait recueillir les plantes médicinales et composerait les décoctions pour soigner rhumes, indigestions et maux de tête. Elle tiendrait aussi le jardin, les parterres de fleurs et l’arrosage dans les terrasses. Ning, la réalisatrice, assumerait la cuisine – elle composerait les menus pour la semaine, et dresserait la liste des corvées. Quant à Pu, la juriste, elle veillerait à la couture et l’entretien du linge – quitte à déléguer la tâche à l’extérieur. Mei, la dessinatrice, avait mission d’entretenir les murs et la décoration. Tandis que Nuo la styliste obtenait la haute main sur la séance de thé quotidienne. Elle rassemblerait leurs essences de thé préférées, et entretiendrait la collection de théières dans les deux espaces dévolus – le cube de verre, à l’étage, et la terrasse de bambou sous le pavillon de voiles blancs, au milieu de la rizière.

Ainsi fut décidé : avec sérieux et enthousiasme, toutes se mirent à l’étude de leurs responsabilités nouvelles, pour ne pas décevoir les attentes de la communauté.

Ce qu’elles n’imaginaient pas, est que leur projet allait très bientôt se trouver en collision avec la crise du coronavirus. Quoique éloignée de l’épicentre de l’épidémie à Wuhan, la province de Canton était astreinte comme les autres, aux mesures de prophylaxie du reste du pays. Interdits par dizaines de millions sur le lieu de travail, les employés étaient confinés à domicile. A cette lumière, le club se retrouva idéalement organisé, avec ses immenses volumes, ses appartements séparés, et ses activités compartimentées pour assurer les besoins du groupe. Depuis début février 2020 donc, les sept femmes vivent dans la villa, avec trois enfants en bas âge mais sans maris ou compagnons – elles leur ont laissé leurs logis en ville. Le matin, à l’ordinateur chacune dans leur chambre, dans la grande salle commune, ou dans les salles spécialisées du second étage, elles effectuent les missions commandées par l’entreprise. Le reste du temps, elles le passent en groupe. Elles gèrent les tâches, vont en promenade dans la montagne, chantent, jouent de la guitare, méditent. Sans en avoir l’air, c’est une ère du futur qu’elles préfigurent : celle d’une Chine matriarcale, dirigée par les femmes, selon des rythmes, valeurs et modes de gouvernance qu’elles réinventent face à nous, en temps réel !

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0.84/5
6 de Votes
1 Commentaire
  1. severy

    C’est merveilleux. On se demande combien de temps subsistera cet îlot utopique. Les paris sont ouverts.

Ecrire un commentaire