Il y a encore quelques années, les « deux sessions » du Parlement étaient considérées comme un forum propice aux débats et aux prises de position. Aujourd’hui, force est de constater que l’heure n’est plus à la spontanéité pour les 5000 délégués, qui se contentent de répéter la ligne officielle et évitent toute controverse.
Même les personnalités publiques, qui apportaient hier un peu de « couleurs » à cet évènement hautement chorégraphié, se font désormais discrètes. Celles qui ne sont plus en odeur de sainteté, comme Xu Jiayin, patron du promoteur immobilier Evergrande, endetté jusqu’au cou, ne sont simplement plus conviées…
Le mot d’ordre de l’année 2022, « stabilité », a vraisemblablement contribué à rendre le rendez-vous plus monotone. Les sujets brûlants, comme celui de la guerre en Ukraine et ses conséquences sur l’économie chinoise, ou encore l’affaire de la « femme enchaînée de Xuzhou », vendue par des trafiquants, ont à peine été évoqués.
Interrogés au sujet de la politique sanitaire chinoise, les délégués se sont bornés à répéter que la stratégie « zéro-Covid dynamique » correspondait le mieux « aux conditions nationales » et était « l’approche la plus efficace et la plus responsable ». La question d’un éventuel assouplissement de cette politique dans le futur a été soigneusement évitée… Le caractère opaque du rassemblement ne permet pas de savoir si ces thématiques ont véritablement été discutées à huis clos.
Par contre, les propositions en lien avec le mariage, les naissances, l’éducation des enfants ont largement été médiatisées, au grand agacement des internautes qui auraient préféré que les édiles s’intéressent davantage à leurs véritables préoccupations, comme l’emploi, l’accès à la propriété ou la santé.
Deux propositions ont néanmoins retenu l’attention du public chinois et des observateurs étrangers.
La première émane de Zhang Xinghai, patron du groupe automobile Xiaokang (Chongqing), qui a appelé le gouvernement à subventionner les salaires des ouvriers, de manière à pouvoir rivaliser avec les rémunérations offertes par les plateformes de livraison de repas ou de VTC. Il s’agit par-là de faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie manufacturière.
La seconde proposition a été formulée par l’éminent professeur Jia Qingguo, qui s’inquiète de l’image dégradée du pays à l’international. En une rare critique voilée de la politique étrangère actuelle, l’ancien doyen de l’école des relations internationales de l’université Beida (Pékin) a suggéré d’assouplir les restrictions encadrant les échanges académiques, d’encourager les universitaires et les diplomates à la retraite à communiquer avec les journalistes et think-tank étrangers, et d’instaurer une loi contre les « fake news » pour mettre un terme à la prolifération de fausses informations qui « nuisent aux relations entre la Chine et les pays étrangers », alimentent « une mentalité nationaliste » et « polarisent la société ».
Mais l’annonce qui a fait le plus couler d’encre est indéniablement l’objectif de croissance de 5,5% que s’est fixé le gouvernement, à la surprise de nombreux économistes. Cet objectif, formulé avant le début de la guerre en Ukraine et l’envolée des prix de l’énergie, représente un véritable défi pour le leadership alors que la croissance était de seulement 4,9% au 3ème trimestre et 4% au dernier trimestre 2021. Le FMI, lui, table plutôt sur une croissance de 4,8% en 2022. Ce chiffre ambitieux peut néanmoins signifier que les dirigeants chinois ont convenu de « mettre en sourdine » certaines politiques décrétées ces derniers mois ou projets de réforme (« prospérité commune », décarbonisation de l’économie, introduction d’une taxe foncière…) au nom de l’impératif de « stabilité » inhérent à la tenue du XXème Congrès du Parti à l’automne prochain.
Une autre déclaration n’est pas passée inaperçue : celle du ministre des Affaires étrangères Wang Yi qui, en réaffirmant la solidité du partenariat sino-russe, a envoyé le signal le plus clair jusqu’à présent que le Président Xi Jinping n’est pas prêt à abandonner son soutien à la Russie et à amorcer un rapprochement avec « l’Occident ». Un pari politiquement risqué, qui ne fait probablement pas l’unanimité au sein de l’appareil.
Enfin, le fait que Li Keqiang annonce que 2022 sera sa dernière année en tant que Premier ministre lors de la traditionnelle conférence de presse en clôture du Parlement, marque officiellement le début des chaises musicales en cette année de transition politique. À l’inverse de son prédécesseur Wen Jiabao qui avait tiré sa révérence en appelant à une réforme politique, le patron du Conseil d’État a préféré quitter la scène sans faire de vagues, se présentant comme l’éternel défenseur du « petit peuple ». Après dix ans passés dans l’ombre du Président Xi Jinping, le public ne semble d’ailleurs pas lui tenir rigueur de la situation économique compliquée que traverse le pays. Il retiendra plutôt de lui sa fracassante déclaration d’il y a deux ans, dans laquelle il dévoilait que 600 millions de Chinois vivaient avec un revenu disponible de moins de 1 000 yuans par mois…
Sommaire N° 9-10 (2022)