En 2015, les n°1 et 2 au palmarès des fortunes, Wang Jianlin et Jack Ma ne donnent que 0,3% de leurs biens à des œuvres philanthropiques. Plus généralement, pour la Charities Aid Foundation, la Chine se classe avant-dernière des 155 pays au palmarès des œuvres caritatives. Or la Chine s’enrichit, avec 568 milliardaires en $ (selon Hurun) et 109 millions de moyens-riches (selon Crédit Suisse). Ce déficit en compassion se paie au prix fort pour les plus vulnérables, et risque d’exacerber l’insécurité – car plus de misère, équivaut à plus de délinquance. Aussi pour inverser la tendance, le Conseil d’Etat soumet, et l’Assemblée étudie, le premier projet de loi sur les œuvres de bienfaisance.
L’objectif est de vaincre la méfiance. La Chine de la base veut bien donner, mais le monopole public de cette gestion, l’en décourage. En 2014, les dons s’élevaient au niveau national à 15 milliards de $, dont 80% allaient à des organisations étrangères. Ces dons étaient en forte hausse (dix fois plus qu’en 2004), mais très peu comparé aux pays étrangers (2% du PIB des Etats-Unis contre seulement 0,1% du PIB chinois). Néanmoins, l’argent donné est bien insuffisant face aux besoins des démunis, 85 millions d’handicapés, 160 millions de vieillards et d’enfants « laissés pour compte » au village.
C’est que l’organisation de la charité est anarchique, à tout le moins : en été 2011, la vaporeuse Guo Meimei, 23 ans, se disant « fille » de Wang Jun, Président de la Croix Rouge chinoise, défrayait la chronique par ses photos osées et ses 850 millions de $ sur son compte en banque. Autre exemple : la moitié des 7 milliards de $ collectés pour les victimes du séisme du Sichuan en 2008, a été détournée.
Aussi le projet de loi s’efforce d’empêcher toute fraude, encadre et supervise les ONG caritatives. Une fois adoptée, la loi leur facilitera la tâche, en supprimant l’obligation d’un « parrain » dans l’administration pour être agréée. De plus, tous dons d’entreprise au-delà de 12% de ses profits, pourront être exonérés dans les 2 ans qui suivent. Mais elle ne va pas assez loin pour Zong Qinghou, PDG de Wahaha : tout don de la part d’une société devrait être entièrement exonéré !
De même, la proposition de loi plafonne à 15% les frais de management des organisations caritatives. Selon certains députés, cette limite est trop élevée et ne ferait qu’encourager les abus : en Occident, ces frais tournent autour de 3%.
Enfin, plusieurs provisions sont là pour permettre aux autorités de faire pression sur, ou de faire fermer toute ONG caritative à tout moment, pour raison par exemple de « sécurité nationale »…
A ce qui nous semble, le premier obstacle aux œuvres de charité en Chine est historique et culturel. Il tient à l’absence de formation aux devoirs envers la collectivité, ce type de tâche étant, dans l’inconscient collectif, plutôt du domaine de l’Etat, du Parti. Pour rouvrir la vanne naturelle du cœur, il faut laisser s’exprimer, dès la prime enfance, la responsabilité civique.
Sommaire N° 9-10 (2016) "Spécial Deux Assemblées"