Chaque année, les « deux Assemblées » (两会 Liǎnghuì), CCPPC et ANP sont le rendez-vous des députés des provinces et cadres du pouvoir central. Inquiétudes, suggestions, explications sont à l’agenda. Cette année, crise oblige, l’Etat a averti les élus de s’abstenir de « commentaires futiles » contre le régime. Il en résulte une atmosphère particulière, cousue de débats tantôt ingénus, tantôt retors et « langue boisée »… Voici notre sélection de scénettes de cette session :
De meilleures cuiseuses à riz !
Curieux de vérifier le bien-fondé de la qualité supérieure prêtée par la foi populaire aux produits made in Japan, Lei Jun, PDG de Xiaomi (dernier-né des groupes de smartphones bon marché), étudia de près une cuiseuse à riz nippone et présenta ses conclusions lors d’une session parlementaire. « Elle est mieux construite que celle de chez nous », a-t-il admis avec fair-play. « En Chine, on étuve le riz jusqu’à ce qu’il soit cuit, au Japon, ils le font cuire jusqu’à ce qu’il soit bon ». Lei d’en conclure qu’en cette Chine qui se prémiumise et peut payer davantage désormais, les industriels n’ont d’autre choix que de se dépêcher d’améliorer la qualité de leurs produits.
Le fantôme de l’Assemblée
Ren Zhiqiang, ce bloggeur millionnaire (en euros, et en nombre de suiveurs sur internet) risque une punition pour avoir critiqué la campagne officielle de recadrage des media.
À l’ANP, en attendant la décision au sommet, on préfère éviter un sujet si risqué. Plutôt que répondre à une question, Feng Xiaogang, le réalisateur de cinéma et défenseur de la liberté de création, a préféré quitter la salle, posant l’index sur ses lèvres en signe de « chut ! ». Le prix Nobel chinois de littérature fit une réponse du même acabit et illustra ainsi son propre nom de plume, Mo Yan ( 莫言), qui signifie « se taire ».
Fièvre de philatélie…
Dans l’hémicycle, les élus en costumes noirs somnolent sous les discours. Mais dans le hall, le guichet postal est pris d’assaut par une foule anarchique d’édiles et de visiteurs, impavides aux appels d’un employé dépassé par les événements : à 3,5¥ voire 5 ¥/pièce, il vend les enveloppes timbrées commémoratives de la session, au cachet du Grand Palais du Peuple. Certains repartent avec des sacs entiers, « pour des amis », ou comme placement.
… et de pin’s !
En plus du badge de sécurité porté par tous, quelques élus à l’ANP, sans doute parmi les 40% de membres du Parti, arborent le badge de Mao ou (mieux encore), de Xi Jinping ! À ce jeu, les Tibétains remportent la palme : sur le cœur, ils portent non un mais deux badges, l’un dédié à « Xi-dada » et l’autre à Xi entouré de ses quatre prédécesseurs (cf photo). Questionnés sur les raisons de ce choix vestimentaire, les édiles du Toit du Monde firent une réponse candide et pieuse : c’est de leur plein gré qu’ils portaient ces images pieuses, par reconnaissance, par loyauté, et « parce qu’ils y croyaient » !
École d’héritage
Yuan Guiren, le ministre de l’Education, a donné sa vision de la raison d’être des écoles : loin d’être une chance de dispenser aux enfants une culture générale ou de préparer à un métier futur, le but serait de « rendre nos élèves qualifiés pour hériter et construire le socialisme aux couleurs de la Chine ».
Yuan s’était déjà fait remarquer en janvier 2015, en instruisant les enseignants de bannir dans leurs classes toute référence aux valeurs occidentales et tout usage de manuels scolaires étrangers. Sur internet, les commentaires allèrent bon train : « pourquoi envoyez-vous vos propres enfants étudier à l’étranger plutôt qu’au pays ? Pour apprendre le marxisme ? »…
Sexisme dès la maternelle?
À la CCPPC, un autre universitaire, Zhu Xiaojin, plaide pour que les garçons débutent l’école primaire à 8 ans et non à 6 ans comme les filles. La raison invoquée ? Le manque de maturité. Selon Zhu, ils feraient mieux de rester jouer, attendant « l’âge de raison », à 8 printemps… Avec tels propos, Zhu ne pense pas être sexiste, au contraire : partant du constat des différences de croissance mentale à âge égal entre les deux sexes, il veut simplement éviter aux petits gars de « de se trouver hors course dès le départ » et de perdre confiance en eux.
Sentiment antijaponais, à travers les âges
Tandis que Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères, voit l’Empire du Soleil Levant comme un Janus à deux visages, aimable parfois mais cherchant aussi à la Chine « des ennuis »,
Yan Chenzhong, professeur shanghaïen, propose de rebâtir l’antijaponisme en puisant dans l’expérience des dynasties Ming et Qing, jusqu’à 500 ans en arrière. Il ne faut pas non plus se limiter aux méfaits nippons contre la seule Chine, mais aussi monter en épingle celles envers toute l’Asie. Prenez l’époque Ming, l’exemple de Qi Jiguang qui vers 1550, boutait hardiment le pirate japonais hors des côtes du Fujian… Un tel héros méridional mériterait d’être remis à l’honneur !
Cependant, des internautes perplexes s’interrogent : si les élus propagent des messages contraires à l’amitié parmi les peuples, quand viendra la réconciliation entre les Empires du Ciel et du Soleil Levant ? Surtout, quand la télévision cessera-t-elle d’ennuyer son public avec des feuilletons guerriers aux scénarios improbables, où les Chinois ont toujours le beau rôle face aux Japonais ?
Sommaire N° 9-10 (2016) "Spécial Deux Assemblées"