Et si tout le monde s’était trompé sur Li Qiang, le nouveau Premier ministre tout juste intronisé lors de cette session du Parlement ?
Avant son ascension, les analystes jugeaient déjà peu probable qu’il devienne le patron du Conseil d’État. D’une part, l’ex-secrétaire du Parti de Shanghai n’avait aucune expérience au sein du gouvernement central, contrairement à tous ses prédécesseurs. D’autre part, sa réputation avait été passablement écornée après avoir imposé un confinement généralisé de la municipalité au printemps 2022.
Et pourtant, lors du XXème Congrès du Parti fin octobre 2022, Li Qiang se voyait propulsé n°2 du Comité Permanent, devenant ainsi de facto le bras droit du Secrétaire général du Parti. Cela conduisit les observateurs à s’interroger : est-ce que son statut d’homme de confiance de Xi Jinping lui permettra de jouir de davantage de latitude que son prédécesseur Li Keqiang, un Premier ministre que Xi n’avait pas choisi et qui représentait un centre de pouvoir alternatif au sien ? Pourra-t-il exercer une certaine influence sur Xi ? La plupart d’entre eux étaient pessimistes, ne voyant en Li Qiang qu’un fidèle exécutant, voire un libéral par opportunisme.
Une enquête exclusive de Reuters permet de nuancer cette analyse. Juste après le XXème Congrès, Li Qiang fut nommé directeur du groupe de travail chargé de la lutte contre le Covid-19. Sous son impulsion, la Chine annonça le 11 novembre une série de mesures assouplissant les restrictions sanitaires en vigueur. Lorsque le pays entier fit face à un raz-de-marée épidémique, Xi Jinping fut tenté de revenir à la stratégie « zéro Covid ». Malgré cela, Li Qiang aurait résisté aux pressions du chef de l’État et l’aurait convaincu d’abandonner cette politique pour de bon.
Plusieurs facteurs sont entrés en ligne de compte : l’état alarmant de l’économie chinoise et des finances des gouvernements locaux, le mécontentement de la population suite à la diffusion de la Coupe du Monde de football au Qatar, montrant des dizaines de milliers de spectateurs sans masque, et bien sûr les manifestations contre la politique « zéro Covid » dans plusieurs grandes villes du pays fin novembre. Ce mouvement populaire inédit depuis 1989 poussa le leadership à opter pour un assouplissement accéléré, considérant la menace posée par les manifestants à la stabilité du régime, plus dangereuse que la libre-circulation du virus, selon les sources citées par Reuters.
Résultat : le 7 décembre, Pékin mettait un terme aux confinements généralisés, aux quarantaines obligatoires et aux restrictions aux déplacements. Un projet initial prévoyait de maintenir les campagnes de tests, mais Li Qiang aurait plaidé pour un abandon total. Les effets ne se firent pas attendre : les hôpitaux furent pris d’assaut et les pharmacies dévalisées… Au total, le Covid-19 aurait fauché plus d’un million d’âmes, d’après les estimations des experts étrangers. Deux mois plus tard, Xi Jinping jugeait « complètement corrects », « les ajustements majeurs apportés à la stratégie sanitaire » et qualifiait cette sortie de la politique « zéro Covid » de « miracle ».
Cet épisode en dit long sur la marge de manœuvre dont dispose Li Qiang et sur sa capacité à influencer les décisions de Xi Jinping, même s’il n’obtient pas toujours gain de cause.
Originaire d’une petite ville près de Wenzhou (Zhejiang), Li Qiang a passé toute sa carrière dans la région du Delta du Yangtze. À chacune de ses affectations, Li n’a eu de cesse de prêcher pour davantage d’ouverture aux investisseurs étrangers tout en exhortant la bureaucratie locale de créer un environnement propice aux affaires, notamment en réduisant les tracasseries administratives.
Lors d’une interview donnée au magazine Caixin en 2013, il décrivait sa vision d’un gouvernement idéal, c’est-à-dire sans intervention excessive dans les activités micro-économiques. Une position qui semble aux antipodes de la tendance actuelle. À Wenzhou, berceau du capitalisme chinois, il n’hésitait pas à donner la priorité aux entreprises privées au détriment des groupes d’État – un geste plutôt audacieux pour l’époque et qui va à l’encontre des principes prêchés par Xi Jinping aujourd’hui. Lorsqu’il était au Zhejiang, il échangeait régulièrement avec les patrons de grands groupes de l’internet et a confié avoir de l’admiration pour des entrepreneurs comme Pony Ma, le fondateur de Tencent, et Robin Li, à l’origine de Baidu – quoique ces derniers aient perdu leurs sièges au sein de la Conférence Consultative du Peuple Chinois (CCPPC). À la tête de Shanghai, il a joué un rôle important dans l’implantation de Tesla dans la zone de libre-échange. Il a également œuvré en faveur du partenariat entre Fosun et BioNTech autour de la production de vaccins à ARN messager – un projet finalement suspendu par Pékin.
Il est clair que Li Qiang ne voit pas toujours les choses du même œil que Xi Jinping. À tout le moins, le climat de confiance qui règne entre les deux hommes permet à Li de partager sans crainte ses préoccupations et ses suggestions au chef de l’État, qui semble les prendre en compte. Alors, cette proximité permettra-t-elle à Li Qiang de le convaincre de la nécessité de faire coexister un agenda libéral avec ses grands principes tirés de l’époque maoïste (auto-suffisance, prospérité commune…) ? Tous les espoirs sont permis.
1 Commentaire
severy
13 mars 2023 à 05:41Il ne suffit pas de mener une politique uniquement axée sur l’économie pour assurer le bonheur du peuple.