
Dans sa conférence de presse donnée le 7 mars en marge des « Deux Sessions » du Parlement, le chef de la diplomatie chinoise et ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, a affirmé que Pékin allait « répondre résolument » à la pression américaine sur les tarifs douaniers. Positionnant la Chine comme une garante rationnelle de la gouvernance globale, Wang Yi déclarait que « les grandes puissances […] ne devraient pas être motivées par le profit, et elles ne devraient pas intimider les faibles » dans une double allusion transparente à ce qu’un article récent de The Atlantic nommait « l’essor de l’Américain brutal ».
Dans cet article du 5 mars, Anne Applebaum décrit l’érosion sans précédent du soft power américain, héritage des plages de la Normandie et de la victoire contre le nazisme : « Les illusions que les Européens ont pu avoir sur les Américains, les images qui ont subsisté dans les vieux films américains, ceux où les bons gagnent, les méchants perdent et l’honneur triomphe de la trahison, sont en train de s’effondrer. Les souvenirs affectueux qui subsistent des soldats américains souriants qui ont défilé dans les villes européennes en 1945, des discours prononcés par John F. Kennedy et Ronald Reagan au mur de Berlin, ou des foules qui ont accueilli Barack Obama, s’estompent aussi rapidement ». C’est l’image de l’Amérique libre, prenant le parti des faibles contre les forts, des dominés contre les despotes qui s’effondre ; c’est l’Amérique elle-même qui devient le vilain de l’Histoire ; c’est Trump, Musk et Vance qui montrent « comment se comportent les méchants ».
Déjà, dans un article de début janvier dans le Financial Times, Gideon Rachman prévenait : « Trump risque de transformer les États-Unis en un État voyou ». En annonçant de façon juste, suite aux déclarations du 47e président des Etats-Unis sur le Groenland, le Panama et le Canada : « l’expansionnisme territorial et les menaces envers les voisins et les alliés devraient déclencher des sonnettes d’alarme dans le monde entier ». Deux mois après, après avoir voté aux côtés de la Corée du Nord à l’ONU une résolution se refusant à condamner l’invasion russe en Ukraine après trois ans de guerre et de victimes civiles, c’est désormais chose faite.
Certains diront que la transformation des Etats-Unis en « Etat voyou » sous la houlette de Trump n’est pas chose nouvelle et que c’était déjà le cas lors de la guerre du Vietnam ou l’invasion de l’Irak. Toutefois, dans les deux cas, on pouvait se dire que la fin justifiait les moyens : la théorie du domino poussait les Américains à s’embourber au Vietnam de peur que la « contagion communiste » s’étende au monde entier dans le contexte de la Guerre froide contre l’autoritarisme soviétique ; la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre servait à expliquer une guerre éclair contre le régime de Saddam Hussein, justifiée par les mensonges de l’administration Bush à l’ONU sur les armes de destruction massive. Malgré les entorses au droit international et à la vérité, les intérêts américains pouvaient encore prétendre s’aligner sur ceux du « monde libre ».
Ce n’est plus le cas dans cet alignement américain sur le régime d’un dirigeant condamné pour crimes de guerre (Vladimir Poutine) qui ne sert ni les intérêts du monde ni même ceux du pays, mais d’abord ceux d’une clique d’oligarques américains.
Les partisans de la méthode Trump veulent croire qu’il y a une cause plus grande derrière la brutalité des moyens : au niveau interne, maîtriser un déficit abyssal ; au niveau externe, se concentrer sur la lutte avec la Chine.
Pour ce qui est du second point, on voit mal encore comment le soutien au principal allié militaire et économique chinois, à savoir la Russie, renforcera les Etats-Unis dans leur lutte pour le Pacifique. En vérité, l’abandon de l’Ukraine n’est pas simplement une capitulation militaire face à la Russie de Poutine, c’est aussi une capitulation idéologique face à la Chine de Xi Jinping.
En effet, « l’Amérique brutale » offre sur un plateau à Pékin le statut d’observateur neutre et impartial se permettant de donner des leçons de modération et de bonne conduite à Washington, en engrangeant ainsi des bénéfices diplomatiques dans ses relations avec l’Europe et le « Sud Global ».
D’un côté, la déclaration de Wang Yi selon laquelle « la Chine a toujours confiance en l’Europe et pense que l’Europe peut toujours être le partenaire de confiance de la Chine » montre que Pékin souhaite exploiter le fossé transatlantique grandissant pour renforcer ses liens avec les pays européens qui ont été tendus par l’Ukraine et les différents commerciaux.
De l’autre, le discours de Wang Yi sur le renforcement de la gouvernance mondiale est aussi une manière de positionner la Chine comme protectrice de l’ordre face à l’ogre américain décomplexé : « Si chaque pays met l’accent sur ses propres priorités nationales et croit en la force et le statut, le monde régressera vers la loi de la jungle, les petits et les faibles pays en porteront le poids ». Lorsque les pays du Sud voient les États-Unis se replier sur eux-mêmes, ils craignent un vide stratégique que la Chine entend justement combler. Cela vaut aussi pour alliés asiatiques qui s’aperçoivent clairement qu’ils ne peuvent plus compter entièrement sur les États-Unis : Trump ayant même dénoncé l’alliance de défense mutuelle de 80 ans avec le Japon.
Pendant ce temps, les affaires courantes continuent pour la Chine qui peut exhorter le monde à la prudence et à la retenue tout en multipliant les actions belliqueuses. Ainsi, après que la marine chinoise a mené deux exercices militaires à tir réel dans les eaux proches de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, l’ambassadeur de Chine à Canberra a déclaré que son pays n’avait aucune raison de s’excuser pour les exercices militaires menés dans les eaux internationales, alors même que ceux-ci ont forcé au moins 49 vols commerciaux à changer de trajectoire et que les responsables de la défense australiens ont confirmé n’avoir reçu aucun préavis concernant les exercices chinois de tir réel dans la mer de Tasmanie. L’amiral Johnston qualifiant le comportement de la marine chinoise d’« irresponsable » et de « perturbateur ».
« Irresponsable » et « perturbateur » : c’est que la Chine reproche d’être à l’Amérique de Trump en se prévalant aux yeux du monde d’une gouvernance responsable et pacifique tout en faisant montre du contraire dans le Pacifique, au milieu d’alliés déboussolés.
Sommaire N° 8 (2025)