
Son absence de la vie publique alimentait les rumeurs depuis deux mois. Jin Zhuanglong, ministre de l’Industrie et des Technologies de l’Information (MIIT), a officiellement été remplacé le 7 mars par Li Lecheng, jusqu’à présent gouverneur du Liaoning.
Entré en fonction en juillet 2022 suite au limogeage de son prédécesseur, Jin est le 4ème ministre à perdre sa place en deux ans, après Qin Gang, l’ex-ministre des Affaires étrangères, Li Shangfu, l’ancien ministre de la Défense, et Tang Renjian, l’ex-ministre de l’Agriculture. Seul Qin Gang pourrait échapper à la prison, n’écopant vraisemblablement que d’une rétrogradation.
Le point commun entre ces quatre hommes ? Tous ont été promus par Xi Jinping ou, du moins, ont obtenu son aval avant de prendre leurs fonctions récemment, ce qui laisse supposer que leurs antécédents politiques, leurs relations interpersonnelles et surtout leur loyauté envers Xi ont été examinés au préalable. Alors pourquoi les limoger à peine nommés ?
Même s’il est plus que probable que Pékin, fidèle à son culte du secret, ne révèle jamais les raisons qui ont entraîné la chute des quatre ministres, les motifs présumés sont bien distincts : affaire extra-maritale pour l’un, corruption et luttes intra-Parti pour l’autre…
Dans le cas de Jin Zhuanglong, ses années passées dans des corporations étatiques associées à l’armée chinoise semblent le rattraper. En effet, ces dernières sont dans le viseur de l’appareil disciplinaire depuis fin 2023, suite à la découverte de failles embarrassantes dans le dispositif balistique de l’APL. Pour Xi, il ne s’agit ni plus ni moins de s’assurer que l’APL dispose d’un équipement fonctionnel, indispensable à la « préparation au combat ».
Membre de la “clique de l’aérospatiale” au même titre que Ma Xingrui, secrétaire du Parti au Xinjiang, et Yuan Jiajun, son homologue du Zhejiang, Jin Zhuanglong a passé cinq ans en tant que vice-directeur du Bureau central de l’intégration militaro-civile. Il est toutefois mieux connu du grand public pour avoir chapeauté le développement du C919, le premier de moyen-courrier chinois, lorsqu’il était président de la COMAC.
A la tête du MIIT, Jin était chargé d’un large éventail de dossiers : de la montée en gamme de la Chine dans le domaine des semi-conducteurs aux problèmes de surcapacités dans le secteur des véhicules électriques. Il était également régulièrement en contact avec les grands patrons des firmes étrangères : en novembre dernier, il cherchait encore à convaincre Tim Cook, le PDG d’Apple, d’investir davantage dans la R&D en Chine…
Un autre limogeage notable intervenu fin février, est celui de Jiang Chaoliang, secrétaire du Parti du Hubei lorsque Wuhan est devenu l’épicentre de la pandémie de Covid-19 début 2020. Vivement critiqué par le public pour avoir tardé à réagir face au virus, Jiang a été démis de ses fonctions en février 2020 et remplacé dans la foulée par Ying Yong, alors maire de Shanghai. En août 2021, il fut nommé vice-directeur à la tête d’un comité de l’ANP – un poste habituellement réservé aux pré-retraités où il aurait pu finir sa carrière tranquillement…
Pékin en a décidé autrement. Mais pourquoi avoir attendu cinq ans avant de le placer sous enquête ? Le moulin à rumeurs tourne à plein régime. La première est que Jiang se serait ouvertement défaussé sur le gouvernement central, affirmant avoir suivi à la lettre les instructions venues d’en haut (c’est-à-dire de Xi Jinping en personne) durant la crise sanitaire. La seconde est que Jiang prévoyait de fuir en Thaïlande, emportant avec lui des informations confidentielles sur les débuts de la pandémie de Covid-19… Enfin, la dernière voudrait que l’arrestation de Jiang soit un avertissement envoyé par Xi Jinping à son protecteur, Wang Qishan, l’ex-président de la RPC, que l’on dit vexé d’avoir été remercié en 2023 après dix ans de bons et loyaux services à purger les ennemis de Xi…
Ces limogeages en série soulèvent une question cruciale : pourquoi le dirigeant chinois s’attaque-t-il à présent à ceux qui étaient encore hier ses alliés ? Wu Guoguang, membre du Asia Society Policy Institute’s Center, apporte plusieurs éléments de réponse.
Tout d’abord, le chercheur note que, comme sous Staline voire sous Mao, ces limogeages ont eu lieu après une série d’erreurs de gouvernance, de la violente politique « zéro Covid » à la campagne de répression du secteur privé qui a freiné l’économie chinoise, fait grimper le taux de chômage et affecté négativement le pouvoir d’achat de centaines de millions de personnes.
Face à ces calamités, le leader peut – à juste titre – craindre que des cadres, même de son entourage, expriment leur mécontentement. Les purges incessantes lui permettent donc de remédier à cette vulnérabilité en créant un climat de peur qui réduit au silence toute contestation ou critique éventuelle.
Mais cette atmosphère décourage également les cadres de prendre toute initiative, ce qui dégrade encore la qualité des décisions politiques et augmente la probabilité de nouvelles erreurs et crises, et donc de plus grandes purges, notamment dans les domaines de la sécurité, de l’armée et de la police, parce qu’ils sont les instruments de coercition de l’État et que le leader a besoin d’un contrôle absolu sur ces secteurs s’il veut conserver son pouvoir.
Derrière le cercle vicieux des dérapages et des purges politiques, se cache l’insécurité incurable d’un leader qui a fait de tous les autres dans son système, allié ou non, son ennemi potentiel, ce qui rend probable que l’animosité et le ressentiment prolifèrent parmi les élites, analyse Wu Guoguang… Pour le moment, rien de tout cela ne représente une menace immédiate pour Xi ou son régime, mais à plus long terme, cela rend leur vulnérabilité certaine.
Sommaire N° 8 (2025)