Petit Peuple : Shanghai – Madame Sun : Jamais deux sans trois

Shanghai – Madame Sun : Jamais deux sans trois

La journée avait mal commencé pour madame Sun, une sémillante retraitée shanghaienne de 67 ans. Son chat, Fuqi, n’était pas rentré la nuit dernière et des mégots de cigarettes et des canettes vides traînaient devant ses fenêtres dans la courette commune, encore jetés des étages supérieurs la veille au soir. Son appartement se trouvait au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble résidentiel du district de Minhang et elle n’arrivait pas à trouver le coupable de ces incivilités. Malgré ses appels, pas de Fuqi en vue. Sa voisine lui avait montré des vidéos atroces de kidnappeurs de chats agissant la nuit en scooters, armés de longues épuisettes et qui entassaient les animaux volés dans des cageots, direction l’abattoir et l’assiette d’amateurs de viande féline. L’image de son chat coupé en morceaux et servi en huǒguō (火锅, fondue chinoise) dans une gargote du Guangdong ne cessait de la tourmenter tandis qu’elle se préparait pour sortir.

Elle avait un rendez-vous important dans un café, pas très loin du campus de l’université Jiaotong. Enfin, quelqu’un prenait sa crainte des cambriolages au sérieux et lui proposait une solution sécurisée pour mettre ses économies à l’abri. Elle n’avait encore jamais vu l’homme avec qui elle avait rendez-vous, mais leurs longues conversations téléphoniques l’avaient rassurée, il savait de quoi il parlait. Elle lui avait même confié combien le cambriolage de son appartement, survenu l’année dernière, l’avait traumatisée. Les meubles renversés, ses affaires éparpillées sur le sol, les placards de la cuisine éventrés, les flacons de parfum de sa collection disparus avec ses bijoux et la montre de son défunt mari. Heureusement, les cambrioleurs n’avaient pas eu le temps de trouver les livrets d’épargne et les certificats d’obligation planqués dans le double-fond d’un tiroir de la vieille commode héritée de ses parents. Depuis, elle vivait dans l’angoisse de perdre son argent, ne faisait plus confiance à la banque et transportait livrets et certificats sur elle en permanence, dans son sac à main adoré en cuir rouge.

Le jeune conseilleril avait été si patient et à l’écoute au téléphone ! – allait lui remettre un téléphone et une carte SIM pour qu’elle puisse faire ses virements en toute sécurité et lui proposait déjà de mettre 5 000 RMB à l’abri, qu’elle lui apportait en liquide.

Montée dans le bus bondé, elle était restée debout, posant son sac devant elle, sur le plateau derrière le siège du chauffeur, ses pensées à nouveau sur les routes du Guangdong avec son chat, peut-être blessé, peut-être déjà mort… Elle avait failli louper l’arrêt et marchait d’un bon pas vers le lieu du rendez-vous quand, oh non ce n’était pas possible, plus de sac ! Elle l’avait laissé dans le bus avec l’argent, les livrets d’épargne, ses papiers, seuls son téléphone et les clés de son appartement se trouvaient encore en sa possession, dans la poche de son manteau. En valeur cumulée, ce n’était pas moins d’un million de RMB oublié dans un bus!

Impossible d’aller au rendez-vous sans l’argent, il fallait d’abord retrouver le sac. Paniquée, un agent de la compagnie de bus à l’autre bout de la ligne, elle avait décrit le sac, le numéro de la ligne, l’horaire sans préciser toutefois le contenu, par peur d’attirer les convoitises. Puis, son téléphone sonna : où était-elle, bon sang ? Madame Sun eut du mal à reconnaître dans cette voix irritée et malpolie celle du conseiller qui n’en pouvait plus de l’attendre. Il ne croyait pas un mot de cette histoire, lança des menaces puis des injures et finit par raccrocher. Tremblante, Madame Sun eut du mal à reprendre ses esprits : avait-elle échappé à une tentative d’arnaque ?

Le lendemain, un employé de la compagnie de bus lui a rendu son sac, dans lequel – miracle spécifiquement chinois – rien ne manquait. Mais pourquoi transporter tout cela avec elle, lui a-t-il demandé en découvrant le contenu. Avec des pleurs de soulagement, elle a tout raconté, le rendez-vous avec le conseiller, le cambriolage, son chat enfin rentré le matin même.

Un mouvement du pinceau, trois virages (一波三折, yī bō sān zhé), que de péripéties en une journée ! Vous rendez-vous compte ? Vous avez échappé au vol de vos économies non une fois mais deux fois ! Ne faites confiance à personne, déposez le tout à la banque !

Se méfier de tout le monde d’accord, mais banque comprise, pensa Madame Sun en rentrant chez elle. Comment ferait-elle pour distinguer les bons conseillers bancaires des mauvais ? Peut-être fallait-il plutôt sécuriser l’avenir, investir dans la construction de la maison de retraite dont parlait ce prospectus ? Ils assuraient un retour sur investissement élevé et un lit prépayé pour elle dans quelques années…

Par Marie-Astrid Prache

NDLR : Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article s’inspire de l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors de l’ordinaire, inspirée de faits rééls.

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1 Commentaire
  1. severy

    … en espérant que la construction de cette maison de retraite ne fût pas une arnaque…

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