Lors de la cérémonie d’ouverture des « Deux Sessions » (« Lianghui »), Lou Qinjian, le directeur du comité des affaires étrangères de l’ANP – et par le fait même l’un des porte-parole de l’ANP – a rencontré la presse le 4 mars afin de répondre aux questions des journalistes chinois et étrangers. Lou, qui a pris soin de bien présenter les 7 points à l’agenda et de répondre à une question concernant l’absence de l’ex-ministre de la Défense, Li Shangfu (celui-ci s’est vu retirer son accréditation de délégué de l’ANP), a aussi pris le temps de parler de l’ordre des conférences de presse qui auront lieu durant les « Deux Sessions ».
À ce titre, au tout début de son allocution, Lou évoque « trois conférences » et les canaux de communication qui seront ouverts pour les journalistes. Ceci dit, un peu plus tard, Lou explique que le centre de presse augmentera le nombre de séances ainsi que de participants ; des membres du Conseil d’État en provenance de différents ministères seront invités à répondre aux questions. D’autres activités avec des représentants seront également organisées afin de pouvoir offrir encore plus de possibilités d’échanges entre ces derniers et les journalistes étrangers et chinois. En contrepartie, et considérant ces arrangements, Lou informe les médias que la conférence de presse du Premier ministre n’aura pas lieu cette année, ni les années suivantes, sauf avis contraire ou circonstances particulières.
Malgré les efforts du Parti pour présenter ce nouvel arrangement comme étant plus « pro-communication » et « pro-échange », l’annulation de la conférence de Li Qiang pour cette année, a été reçue avec déception et inquiétude. Cette décision, a priori définitive, vient confirmer une fois de plus la fermeture progressive du régime ainsi que son « opacisation ».
Comment expliquer cette décision ? Il est nécessaire d’aller plus loin que ces premières observations et plus loin que les rumeurs qui veulent que Xi tente d’empêcher Li Qiang de consolider ou encore d’élever sa position au sein du Parti.
En premier lieu, il faut faire la distinction entre « être empêché » et refuser sciemment d’affronter la presse.
Dans le premier cas de figure, on comprend que Xi pourrait être dans une joute tenant du « dilemme du prisonnier » avec Li Qiang (Xi « endigue » Li ; Li freine son ascension). Pour que ce scénario soit réaliste, il faudrait que Li Qiang ait la capacité de faire de l’ombre à Xi, ou encore qu’il représente une menace pour lui, ce qui n’est pas du tout le cas. De fait, Li Qiang, qui s’est fait imposer « son » Conseil d’État, qui n’est pas en mesure de contrôler la politique économique, ni même l’idéologie, la sécurité, etc., se classe sans doute – de par sa dette envers Xi –en-dessous de Li Keqiang en terme d’influence relative.
Dans le second cas de figure, on pourrait interpréter cette annulation comme le refus de Li Qiang de répondre aux questions et être, d’une certaine manière, tenu pour responsable du travail de « son gouvernement ». Mais alors, pourquoi avoir accepté de participer à la conférence de presse en 2023, diront certains ? En fait, l’an dernier, Li avait le luxe de pouvoir se cacher derrière son prédécesseur, Li Keqiang, chose qu’il ne peut plus faire à présent…
Li Qiang ne peut non plus pas pointer le doigt en direction de Xi – qui lui a imposé ses conseillers d’Etat, à savoir He Lifeng, Ding Xuexiang, Wang Xiaohong, Qin Gang et Li Shangfu. Il ne peut pas non plus se défausser sur les tensions au sein de « son équipe » ou encore sur le fait que He et Ding cherchent plus à lui nuire qu’autre chose…
Tout bien considéré, ce choix, qu’il soit le sien ou celui de Xi, est une bonne chose pour Li. En effet, ce dernier n’a rien à gagner à faire une gaffe devant la presse ou à se faire coincer par les erreurs des autres. Ne pas participer lui évite les débordements du style Wen Jiabao qui répond à une question sur Bo Xilai en 2013 ou de répondre à des questions embarassantes sur Qin Gang ou Li Shangfu sans l’autorisation de Xi. Et, après ce qui s’est passé à Shanghai durant la pandémie, on peut douter que Li ait envie d’en prendre davantage sur lui…
Enfin, et cette hypothèse touche un peu aux deux premières explications : les classiques « meet the press » de l’époque de Jiang Zemin (avec la répartie de Zhu Rongji et l’honnêteté de Wen Jiabao) représentent le visage de l’ouverture de l’époque Dengiste post-Révolution culturelle. A cette période, il fallait que le Parti se démystifie lui-même et invite la communauté internationale à le rencontrer.
Aujourd’hui, à présent que les réformateurs sont en déroute ou ont quitté le paysage politique, pourquoi suivre le chemin des excès de la droite, des réformes et de l’ouverture, pourquoi respecter le « bureaucratisme » de l’époque de Deng ? Poursuivre sur ce chemin serait se plier à l’héritage Dengiste, et aux « exigences » de l’Occident. Très peu pour Xi…
Ce changement vers une version plus « Mao aux commandes » du Parti et des « mœurs » de celui-ci, n’est pas tout à fait étonnant. En fait, en lisant entre les lignes des commentaires de Lou Qinjian, le Parti semble vouloir « aller au contact des masses » (que cette volonté finisse par se réaliser ou non), idée classique de « consultation populaire » de l’époque Mao. En ce sens, Xi, qui veut s’affranchir des contraintes institutionnelles et organisationnelles de l’époque post-Mao, n’a aucune raison de continuer à faire des efforts pour plaire ou atténuer les inquiétudes externes. Autrement dit, il faut faire le deuil des épisodes passés – du style Mike Wallace (journaliste américain) rencontre Jiang Zemin – et se consoler sur ce que le Parti veut bien communiquer. Et comme le Parti cherche à faire bonne figure, il se doit d’éviter les ouvertures qui pourraient le mettre dans l’embarras.
Sommaire N° 8-9 (2024) - Spécial "Lianghui"