On a pu voir les semaines passées la Chine se retournant vers l’Europe, par inquiétude du tournant chauviniste-protectionniste du Président D. Trump aux Etats-Unis. Ainsi, furent reçus au plus haut niveau le Premier ministre français B. Cazeneuve (20 au 23 février) suivi du Président italien S. Mattarella (21 au 26 février).
En parallèle, les provinces du Centre de la Chine sont en demande de liens approfondis avec l’Europe – un désir de raccourcir les distances, d’attirer plus de finances, de technologies et d’industries européennes.
Cette Chine de l’intérieur se cherche un avenir autre que de celui de la côte. La Chine « bleue » de Canton ou Tianjin dispose de ports vers la façade pacifique, mais la Chine « jaune » de Chengdu ou Wuhan, doit compter sur sa route ferrée, 1000 km plus proche de Lyon que Shanghai par exemple – un enjeu majeur du plan OBOR « une ceinture, une route » (一带一路) !
Le 23 février, la délégation de B. Cazeneuve à Wuhan, visitait plusieurs réalisations d’avenir : le laboratoire de classe P4 d’étude des affections pathogènes ultra dangereuses, bâti suivant le modèle développé à Lyon par Mérieux et l’Inserm, et la future éco-cité du district de Caidian, coopération franco-chinoise.
Ce fut aussi l’occasion d’assister à l’arrivée au terminal ferroviaire de Linkong, du consortium WAE (Wuhan-Asie-Europe Logistics, filiale de la mairie de Wuhan), d’un train parti de Lyon. Tractés par une motrice diesel décorée de fleurs et de banderoles, 41 conteneurs avaient fait la route (11,300 km) en 15 jours—20 de moins que par la mer— via 7 pays, dont Russie, Pologne et Allemagne, au moyen de 8 locomotives, 20 pilotes et 3 changements de bogies sur des voies à écartement variable.
A l’arrivée à Wuhan, une grue portique soulevait le conteneur de tête, le déposait à terre. Ouvert par les douaniers qui brisaient les scellés, le contenu de sa cargaison révélait Champagne, Bordeaux, Sauternes (17 000 bouteilles), pièces-auto à perfectionner, produits agro-alimentaires—la plupart des conteneurs étant réfrigérés. Les trains vers Lyon, eux, acheminent du matériel technique, médical, électronique, textile, chimie…
En dépit de ces aspects prometteurs, à l’évidence, le circuit n’en est encore qu’à une fraction minime du marché potentiel, très au-dessous de ses capacités. La preuve : en 9 mois depuis avril 2016, il n’a expédié que 96 trains de Wuhan, et seuls 43 trains sont repartis de Lyon—la plupart à vide, tractant des centaines de wagons pour permettre leur rapatriement. On est loin des « 5000 convois Chine-Europe » promis pour 2020, ce qui équivaudrait à 80% du trafic mondial en conteneurs par chemin de fer, et pour chacune des 15 villes desservies, 27 trains par mois en moyenne. Mais la progression est rapide : le trafic de conteneurs entre Wuhan et Lyon est passé de 5% en septembre 2016, à 15% en février 2017.
Officiellement, pour un conteneur de Wuhan à Lyon, il en coûte 5350$, et 3750$ dans l’autre sens—deux fois plus cher que par voie maritime. C’est sans compter les subventions de l’Etat chinois, secret (bien gardé) de cette vertigineuse montée en puissance. Un diplomate chinois suggère même que ce tarif depuis Wuhan serait « presque égal à celui maritime ».
L’espoir des créateurs de ce réseau, tient au fond à une « révolution des esprits » et un changement complet de perspective. Lyon se sent depuis lors « connectée à la Chine », et ses centaines de PME se prennent à rêver d’export. WAE y ouvrira sous 3 mois un bureau, ainsi qu’à Bordeaux et Paris. C’est un marché qui débute, de produits européens dont la Chine s’annonce friande et prête à payer le prix. Ainsi, tous les produits qui n’avaient pas accès à la Chine—la voie aérienne étant trop chère et celle maritime, trop lente—obtiennent aujourd’hui leur « route de la soie » spécifique.
Sommaire N° 8 (2017)