Petit Peuple : Wuning – l’inoubliable Saint Valentin de Liu Beihong (1ère Partie)

A Wuning dans le Jiangxi, Liu Beihong n’est pas prêt d’oublier sa Saint-Valentin de 2016 : la fête des amoureux devait, sinon changer profondément le cours de sa vie, au moins lui donner une leçon mémorable.

Sans être à proprement parler un mauvais garçon, Liu était un joueur, et un homme incapable de résister à ses envies, quelles qu’elles soient – résultat d’une situation de fils unique trop couvé par la mère et les grands-parents, tandis que le père pâle, subissant l’autorité de son épouse, passait le plus clair de son temps hors du foyer.
De la sorte, depuis sa petite enfance, le garçon-roi n’avait jamais fait que ce qu’il entendait, et s’était fait pardonner tous ses insolences et incartades. La réussite à l’école est le seul domaine où sa mère ne pouvait pas transiger, sachant bien que l’avenir de son fils dépendrait directement de cette aptitude aux études. 

Liu Beihong cependant, était indifférent à ces défis. Lui, l’enfant du miracle détestait l’école, les maîtres et les devoirs.
Une autre chose l’appelait d’un chant bien trop ensorcelant : la rivière Xiuhe qui traversait sa ville d’Est en Ouest avec ses vaguelettes, ses forêts de roseaux et ses canards, et le lac Xihai, à deux jets de pierre de sa maison. À l’orée de la ville, débutait une luxuriante forêt : autant de thèmes d’escapades, de baignades, sorties en barque et autres expéditions dans les bois pour dénicher les œufs des oiseaux. 

Puis à 14 ans, une autre tentation vint s’offrir à Liu Beihong, quand un copain d’école buissonnière lui fit découvrir la salle de jeux d’arcade, qui fut pour lui un véritable coup de foudre.
Autant dire qu’à 18 ans, en 1996, Liu avait obtenu de petites notes au bac, ne lui permettant pas d’aller à l’université. Il ne s’en soucia guère : ses parents, membres du Parti, surent le placer par protection dans une officine publique.
Puis à 25 ans, en 2003, quoiqu’il n’ait jamais renoncé à ses nuits de bamboche, entre beuveries, inlassables parties de « pái Chángchéng » (sobriquet du mah-jong), ils trouvèrent à le marier avec une fille aimable et travailleuse, nantie d’un métier rémunérateur comme employée de banque. 

Avec ce vaurien, Baohua, cette pauvre fille, n’avait pas vraiment décroché le gros lot ! De longues années, elle patienta, dans l’attente qu’il lui déclare un emploi présentable, et puis qu’elle puisse arrêter de travailler une petite année, le temps de faire leur enfant, au moins un.
Hélas pour elle, cet espoir fut toujours remis aux Calendes grecques, (遥遥无期, yáoyáo wú qī, « à une date indéfinie »). 

Beihong continua imperturbablement sa vie de bâton de chaise, sans se soucier des reproches et avertissements qu’elle pouvait lui adresser.
Dès le lendemain de leurs noces, son employeur téléphonait aux parents pour notifier son absence au bureau. Après deux autres abandons de poste, il recevait sa lettre de licenciement, nouvelle qu’il prit avec une indifférence royale : il trouverait bien autre chose, et puis il n’y avait pas à s’inquiéter pour l’heure, le salaire de Baohua suffisait bien pour eux deux, pas vrai ?
Le soir même, il était reparti : des semaines, des mois, il restait invisible, se contentant de téléphoner de temps en temps à Baohua, depuis une ligne fixe ou d’un portable inconnu. Au bout du fil, elle entendait des rires de femmes, des tintements de verres, un brouhaha de tripot.

Baohua explosa le 13 février 2016, en pleine semaine de congés du Nouvel An chinois. Tard dans la soirée, Beihong venait de rentrer, la tirant du lit. Il retournait de deux mois d’errance, mal lavé, ses vêtements défraîchis, à demi-ivre, réclamant à manger.
Sans dire un mot, en épouse dévouée, elle mit de l’eau à bouillir pour lui préparer ses nouilles instantanées tandis qu’il restait vautré dans le sofa de velours et acier nickelé. Intérieurement toutefois, elle bouillait d’indignation, « la fumée lui sortant des 7 orifices du visage » (qīqiào shēngyān, 七窍生烟), et lui tendant son bol, elle ne put se contenir davantage : « nous rapportes-tu de l’argent, cette fois ? ». Mais Beihong, aspirant ses pâtes à grands traits bruyants, garda le silence. Quand il eut fini, il lui déclara, grand seigneur : « femme, je te donnerai demain mon argent. Maintenant, je suis fatigué, laisse-moi en paix ». Puis il se dirigea vers le lit, et s’y jeta comme une masse, sans prendre la peine de se déshabiller – fût-ce des chaussures.
Baohua passa la nuit sans dormir, à ressasser le passé et se rejouer le film de leur décevante union tandis qu’à ses côtés, son homme ronflait comme une scierie. 

Quand l’aube pointa à l’horizon, faisant percer ses rais de lumière par les fentes des rideaux mal fermés, Beihong dormait encore. 

Baohua fit les poches de son pantalon, trouva son portefeuille, l’ouvrit : il ne contenait que 23 yuans en billets graisseux. Furieuse, elle le frappa de ses petits poings fermés, sur sa poitrine : « Pendant ces deux mois de goguette, qu’as-tu gagné ? T’as tout dépensé, tu me ramènes rien ? Qu’ est-ce que tu fais de notre couple ? A 38 ans, ne deviendras-tu jamais adulte ? Et cet enfant, quand comptes-tu me le faire ? Cette fois – c’en est trop – je vais à la police ».
Ahuri, redressé sur le lit, il se frottait les yeux sans répondre. D’ordinaire, dans ces crises, elle se calmait. Il n’avait qu’à attendre, croyait-il. 

Mais il se trompait gravement, comme on le verra la semaine prochaine !

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