Le 5 mars à Pékin, en ouverture du Plenum de l’ANP (Assemblée Nationale Populaire), le Premier ministre Li Keqiang fit son traditionnel rapport 2015 et programme 2016. Surprise, le chef de l’exécutif ne défendit que mollement les thèmes chers au Président Xi Jinping : il s’étendit peu sur la campagne anti-corruption, peu sur l’obligation de loyauté des cadres envers le chef de l’Etat, mais glissa de discrets appels à la démocratie, tel celui-ci : « notre gouvernance devrait toujours être guidée par les vœux du peuple », ce qui n’est pas exactement au programme de Xi, à cheval sur le monopole du Parti. L’incident explicite un malaise palpable. Xi Jinping vient de faire un nouveau pas autoritaire en intimant à la presse de se conformer strictement aux directives, renonçant à tout libre arbitre. La distance de Li Keqiang peut ainsi refléter un désaccord – Li et Xi, sans se contredire mutuellement, suivent des priorités différentes ! Dans la salle en tout cas, les 2880 édiles, dont les réactions sont toujours sous contrôle, ont accueilli le discours avec réserve, moins de bravos, et moins forts que de coutume.
La priorité alla à l’économie : Li fit ce constat inévitable d’une croissance qui cale. Dans le cadre du 13ème Plan (2016-2020), Li promit pour 2016 une croissance en léger recul, de « +6,5 à 7% », et des mesures de relance en matière de finance, taxation ou droit des affaires. Peut-être pour prévenir toute critique de ses adversaires, le Premier ministre se vota un satisfecit pour l’an 2015 : « les objectifs ont été remplis ». Certes, la croissance n’a atteint que +6,9%, manquant le but de 7%, mais en termes de pouvoir d’achat, du fait de la stabilité des prix, elle équivaut à +7,4%. Et surtout, pour la première fois, la part des services dans ce PIB dépasse 50%, et ce PIB est généré à 66% par la consommation, et non plus comme hier, par les grands projets de l’Etat, ce qui est le but le plus profond de toute cette transition, d’un fer de lance industriel étatique porté à bout de bras par ses monopoles et subventions, vers un système privé-public plus autonome, créatif et durable. En 2016, Li Keqiang prétend parachever l’introduction universelle de la TVA, plus équitable que l’actuelle « taxe d’affaires ». Il veut aussi relancer la consommation en effaçant pour 70 milliards d’euros de taxes. Il prépare la suppression de jusqu’à 6 millions d’emplois dans des entreprises « zombies », et promet de relaxer « significativement » l’accès au privé et à l’étranger aux secteurs jusqu’alors chasse gardée de l’énergie, des télécoms, des transports.
D’ici 2020, 300 millions de citoyens défavorisés changeront d’habitat et/ou de statut : un tiers, émigrés dans les grandes villes, recevront le permis de résidence (hukou), ouvrant à eux et leur famille, le droit aux écoles et à une couverture sociale ; un tiers sera relogé sur place, au village ou dans les banlieues pauvres ; et les derniers 100 millions iront dans des villes nouvelles au Centre et à l’Ouest du pays. L’immense programme d’équipements va se poursuivre, avec 300 milliards d’euros rien que dans les voies rapides (30.000km) et les lignes TGV (11.000km), sans compter les programmes de centrales nucléaires, de barrages… La recherche doit d’ici 5 ans, recevoir 2,5% de la ressource nationale, et générer 60% de la croissance par les brevets et techniques ainsi mis au point. L’environnement va aussi recevoir sa part, pour réduire sous 5 ans de 23% la dépense en eau, 15% de l’énergie, et 18% des émissions de CO2. Li résume ainsi l’état d’esprit nouveau : « depuis l’origine, la Chine se développe en gagnant ses paris—il n’est point de difficulté dont elle ne puisse venir à bout » !
Sommaire N° 8 (2016)