Le 25 février, Xinhua présente un amendement à la Constitution de 1982, qui va changer la donne du jeu politique du pays. Le Parti s’apprête à faire disparaître la limite de deux mandats consécutifs (10 ans) du Président de la République et du vice-Président. L’Assemblée Nationale Populaire (ANP), en Plenum à partir du 5 mars, doit simplement valider la proposition. Rien ne semble donc s’opposer à un 3ème ou 4ème mandat (2028 ou 2032) pour le Président Xi Jinping, voire un mandat à vie. Cet arrimage sans limite d’un leader à son siège ressemble à la stratégie d’un Vladimir Poutine, que Xi admire ouvertement.
Cette tentative pour Xi de se succéder à lui-même, constitue un virage à 180 degrés dans l’histoire du socialisme chinois. En 1982, Deng Xiaoping avait voulu bloquer toute tentation dynastique comme celle dont la Chine venait de souffrir sous Mao, le Grand Timonier. En accord avec la direction collégiale de l’époque, Deng voulait éviter le retour d’un autre Grand Bond en avant, d’une autre Révolution culturelle qui avaient failli coûter le pouvoir au Parti. Désormais, tout leader ne servirait plus que 10 ans (deux quinquennats), et ne pourrait plus désigner son successeur direct, qu’il aurait pu manipuler.
Après Deng, divers 1ers Secrétaires avaient voulu tordre la règle –tel Jiang Zemin (de 1989 à 2002), tentant de se faire reconnaître Président du Parti – un titre que seul Mao avait reçu. Il briguait un 3ème quinquennat, puis le pouvoir suprême pour son lieutenant Zeng Qinghong. Mais chaque tentative échouait, face au mur d’un Bureau Politique déterminé à conserver l’héritage de Deng. Jusqu’à aujourd’hui, les décisions se prenaient collégialement au sein du Bureau Politique de 25 membres, ou du Comité Permanent de 7 membres actuellement — la voix du 1er Secrétaire n’y comptait pas plus que celle des autres. Mais tout ce système est désormais menacé : tandis que les membres des organes suprêmes continueront de changer à chaque quinquennat, le Président et le vice-Président eux resteront. Ils concentreront du pouvoir, des réseaux, et décideront quels seront les prochains membres des organes suprêmes. C’est le retour au pouvoir présidentiel.
En fait, cette suppression de la limite du mandat présidentiel, est le point d’orgue d’une action préparée de longue date. En 2016, Xi Jinping faisait endosser par les provinces et régions militaires, son nouveau titre de « noyau » du Parti, s’octroyant ainsi un poids moral supérieur aux autres. En 2017, lors du 19ème Congrès, il faisait enchâsser sa pensée dans la Constitution du Parti. De même, dans la presse et les discours publics, il se faisait désigner d’un nouveau titre, lingxiu (grand leader). Dans les années à venir, d’autres honneurs sont envisageables, tel un titre de dangzhuxi (党主席,Président du Parti) qui le mettrait à l’égal de Mao.
La chronologie de publication de cet amendement au mandat du Président laisse toutefois suspecter que son acceptation n’a pas été facile au sein du Parti : elle a été précédée depuis janvier par une kyrielle de meetings tantôt anticipés, tantôt secrets, tous visant, l’un après l’autre, à doter d’une majorité (d’une légitimité constitutionnelle) ce changement aux règles de succession.
L’amendement du 25 février est présenté comme ayant été adopté au 2nd Plenum du Comité Central des 18-19 janvier—avec une série d’autres dont la liste était restée impubliée à l’époque. Elle n’aurait été signée que le 26 janvier –mais aucune réunion au sommet n’était signalée ce jour-là. La séance mensuelle du Bureau Politique qui se tenait le 30 janvier, ne publiait toujours pas ces amendements vieux de 4 jours… Une autre réunion du Bureau Politique se tenait le 24 février, pour ordonner enfin cette publication le 25.
Mais ce n’était pas fini : les 26-28 février avait lieu un 3ème Plenum du Comité Central extrêmement anticipé – l’agenda prévoit habituellement cette réunion à l’automne. Son vote à mains levées et sous contrôle strict, donnait enfin le feu vert « constitutionnel » permettant de transmettre les amendements aux députés de l’ANP (5-15 mars).
Ce passage au forceps ne peut qu’accentuer l’impression dominante : Xi Jinping concentrait déjà les pouvoirs civil (chef de l’Etat), de défense (Président de la Commission centrale militaire) et du Parti (1er Secrétaire). Il ne lui manquait que celui de la durée et il vient de le prendre en domptant l’opposition interne, se donnant ainsi les mains libres pour imposer son style de gouvernance et sa poigne.
Le risque, selon le professeur Carl Minzner, réside dans une concentration excessive des pouvoirs et l’impossibilité pour une seule personne, même bien secondée, de prendre toujours les bonnes décisions —y compris face à des provinces à problèmes, à des secteurs industriels, des entreprises à protéger ou à fermer, de concessions à faire aux puissances commerciales partenaires- Etats-Unis, Inde ou Union Européenne.
À long terme se profilent d’autres aléas : jusqu’à quel point la remise en cause des normes politiques, héritage du Parti, va-t-elle aller ? Mener une politique répressive contre les cadres provinciaux (campagne anti-corruption), peut les amener à se liguer pour la défense de leurs intérêts. Trop de censure et de discipline par la peur, risque de déstabiliser l’organisation immense qu’est le Parti Communiste (82 millions de membres mais dont la majorité ne joue aucun rôle en interne), et d’inciter la chaîne décisionnelle à une obéissance passive, dénaturant les projets de réforme.
Au sein de la société, cette reconcentration des pouvoirs risque d’émousser l’esprit d’entreprise de la jeunesse, d’étouffer l’initiative dans les universités, les start-ups… Mais elle peut aussi aider à nettoyer cette société du chancre de la corruption. Un mal pour un bien ?
1 Commentaire
severy
3 mars 2018 à 22:43En tentant de glisser ses petits petons dans les sabots à clous de Mao, Xi Jinping peut continuer longtemps à combattre la corruption qui parcourt voracement les boyaux du Parti comme un ténia les replis de l’intestin mais nettoyer à grands coups de jets d’acide les écuries d’Augias ne suffira pas pour passer à la postérité pour un Grand Libérateur tant que le Parti passera aux yeux du peuple pour une plante parasite se nourrissant de lui.