La machine économique et les différentes tutelles du crédit, semblent tourner au ralenti depuis 2015 – la dernière coupe des taux d’intérêts remonte à novembre 2015. Puis soudainement, le vent recommence à tendre les voiles du navire : en janvier, la masse des prêts, à 3,42 milliards de ¥, a dépassé les attentes moyennes de 50%, selon Bloomberg. Des mesures viennent discrètement de sortir au Conseil d’Etat pour assurer la relance : une réduction des réserves bancaires obligatoires, de l’argent frais aux provinces pour financer un train d’infrastructures de la NDRC, une baisse des coûts du crédit, en lien avec les fermetures de capacités redondantes.
Le 22 février, le Bureau Politique en session validait l’objectif de PIB pour 2016, que le 1er ministre Li Keqiang doit présenter le 5 mars à l’Assemblée : « 6,5 à 7% », sans doute moins que le bilan de 2015 (6,9%). Mais la performance permettrait encore d’atteindre le but du 13ème Plan : doubler d’ici 2020 le PIB de 2010 par habitant, franchissant ainsi la barre séparant encore le pays du statut recherché de « société modérément prospère ».
Il était temps, pour le pouvoir, de chercher à s’arracher au marasme et à l’incertitude. La Chine entière est restée traumatisée par les deux dévissages boursiers d’août et de l’automne dernier, dans l’attente d’un introuvable redémarrage. Mais l’imminence de la session parlementaire, et du G20 à Shanghai (les 26-27 février) rendaient le statu quo de moins en moins tenable. Le leadership veut piloter la lourde machine avec plus de « flexibilité et réponse rapide », et « maintenir un environnement stable pour mener de front croissance et réforme structurelle », tout en poursuivant la dérégulation du marché. Le maître-mot nouveau est « changer l’offre », introduire la concurrence (étrangère notamment) dans les chasses gardées des conglomérats publics : énergie, télécom, mines, agrochimie…
Toutefois, trois jours avant la session du Bureau Politique, le « Forum 50 des économistes chinois » exprimait bien la bataille d’idées—et d’intérêts– au sein des sphères dirigeantes, sur les règles du jeu de l’économie de demain. Animé par des hommes tels que Liu He, son fondateur (ayant toute la confiance de Xi Jinping), Lou Jiwei (ministre des Finances) et Zhou Xiaochuan, Gouverneur de la Banque Centrale, il associait aussi Wu Jinglian, 86 ans, l’économiste le plus connu de Chine, aux idées très avancées. Tous ces hommes sont convaincus par la nécessité de laisser le marché reprendre le pas sur les instruments étatiques.
Or dès la première minute du Forum apparaissait la contradiction : le principe formel de réduction de l’initiative administrative est entériné de longue date au niveau suprême, mais en pratique, les positions restent gelées…
Le Forum a rappelé qu’en 2014, le débat sur la réforme des grandes entreprises d’Etat envisageait de privatiser ou fermer les unités, selon leurs mérites. Mais au lieu de faillites ou restructurations, on a assisté à des créations de « monstres », tel CRRC Corp. le groupe unique de construction ferroviaire à 24 milliards de $, issu de la fusion de CNR et CSR, les consortia du Nord et du Sud du pays.
De même, ces groupes ont reçu la consigne d’éliminer leurs surcapacités, mais sans comprimer le personnel. Ils ont été chargés de moderniser leur gestion (de recruter des cadres supérieurs issus du privé), mais le Parti s’est aussi réservé des postes « parachutés » pour ses propres cadres.
Enfin les provinces continuent à maintenir en vie leurs firmes « zombies », perdant ainsi des ressources précieuses pour la conversion des unités non viables. C’est dans l’espoir que la fermeture de surcapacité tombera « chez le voisin ». Ainsi, le marché unique en Chine, reste une utopie d’avenir, chaque province fonctionnant comme une entité économique morcelée, en rivalité avec sa voisine.
Le Forum 50 devait aussi dénoncer l’existence aujourd’hui-même de prix artificiellement hauts, tels ceux de l’électricité ou des céréales, ou bien trop bas, comme ceux de l’eau ou du carburant. Même la loi du travail, en encadrant strictement le licenciement, impose un frein sévère aux recrutements…
Une partie du problème provient d’un trait culturel de ce pays, combiné à l’absence du multipartisme : faute d’alternance au pouvoir, le régime est condamné à rechercher éternellement le compromis entre les tendances opposées, celle du marché, et celle des nostalgiques et des nantis, réclamant le maintien du statu quo, au nom de la stabilité.
En contrepoint à ce débat, vient s’ajouter la voix de la Chambre de Commerce européenne : dans son dernier rapport sur la surcapacité en 8 secteurs tels l’acier, le ciment ou la chimie, elle voit les usines tourner en moyenne à 65%/75% de leur potentiel. Or, commente son Président Joerg Wuettke, en Europe, toute unité tournant en dessous de 85%, fonctionnerait à perte…
Le résultat est accablant, sur l’incapacité du pouvoir central à faire appliquer ses décisions. D’après Wuettke, l’Etat central semble « plus intéressé aux réformes de l’armée ou du PCC, et à sa campagne anti-corruption qu’à l’économie et au protectionnisme interprovincial ». De ce fait, la surcapacité augmente, au lieu de reculer – comme dans les nouveaux projets de centrales à charbon.
La Chine, de plus en plus, tente d’exporter ses excédents, et les pays et régions du monde, l’un après l’autre, dressent leurs barrières. Seule solution, prédit Wuettke : « que l’Etat cède aux forces du marché les rênes de l’économie ».
Aussi la situation actuelle apparaît ambiguë et non tranchée : une tendance a obtenu le principe de la poursuite ou de la reprise de la restructuration, mais le blocage dans les provinces ressemble à un effort ultime pour maintenir en vie le mode productif traditionnel.
Sommaire N° 7 (2016)