Résumé 1ère Partie : Millionnaire à sa naissance, Li Lijuan a voulu se consacrer à l’accueil d’enfants abandonnés. Désormais « mère » de 75 petits, elle se retrouve criblée de dettes, et sa santé, minée…
Au village de Shuanquan près de Wu’An, (Hebei), Li Lijuan paie très cher d’avoir adopté ces 75 orphelins en 19 ans, la plupart handicapés. Tant de difficultés lui sont tombées dessus depuis lors, comme si le destin jaloux, après l’avoir fait naître riche, voulait la punir d’avoir redistribué sa fortune au lieu de la garder jalousement.
Usée à 46 ans, elle en parait 60 : son visage délicat mais parcouru de profondes rides, ses mèches blanches trahissent ses deux décennies d’efforts pour nourrir et loger, éduquer et soigner tout son monde en ne comptant que sur ses forces. Et ce ne sont pas ses comptes en banque qui vont contredire le tableau : tous sont au rouge, avec au total 2 millions de yuans de découvert.
Loin de se plaindre pourtant, Lijuan garde le sourire, et se croit bénie des Dieux : « après mon mariage malheureux il y a 20 ans, se rappelle-t-elle, je ne pouvais plus croire en la bonté humaine, mais sans cette foi, comment poursuivre ma vie ? Puis j’ai adopté ma première fille et, sans le savoir, j’allais recevoir le seul remède possible pour guérir ma maladie spirituelle : la dévotion que me vouait cette enfant allait me réconcilier avec la vie ».
« Village d’amour », comme elle appelle son orphelinat, respire le bonheur. Bâtie avec les derniers lambeaux de sa fortune familiale, cette maison possède une large salle de vie éclairée de baies vitrées et de parois chamarrées de dessins, colorés et naïfs, œuvres des enfants. Ployant sous les BD et livres d’images très usés, la bibliothèque reçoit fréquemment de la visite, et les enfants y ont chacun leur casier. Ajoutons l’eau chaude courante et le chauffage, les 75 pensionnaires sont parfaitement à l’aise dans ce petit palais.
Entre 2007 et 2011, Lijuan avait presque fait faillite, suite à l’expropriation de la mine héritée de ses parents et l’absence de soutien public. Mais le vent a fini par tourner. Par vagues successives, sa célébrité de « mère universelle » a gagné le pays. A mesure des reportages dans les journaux et à la TV, les dons affluent, anonymes le plus souvent : cageots de pommes, caisses de poulet, sacs de riz, œufs par casiers entiers. D’un hôpital de Shijiazhuang, des hommes en blanc viennent suivre les enfants – sans réclamer d’honoraires. Au passage, ils soignent Lijuan pour son cancer, et lui ont ainsi probablement sauvé la vie—pour l’instant.
Entourée de ces grappes d’enfants en perpétuelle vibration, Lijuan est la reine de sa ruche. Typiquement, sa journée débute à 5 heures : titubante de sommeil, elle collecte les paniers linge sale, les répartit en sa batterie de machines à laver, dont elle en a grillé une demi-douzaine en 20 ans.
À 6 heures, les premières nourrices arrivent pour l’aider : avec Lijuan, elles préparent une grande marmite de « zhou », soupe de riz du matin, ainsi que les médicaments des enfants sous traitement.
A 8 heures, le petit bus crisse devant le portail, d’un gémissement de freins. C’est pour embarquer 22 petits, vers une école de Wu’ An. Car pour Lijuan, cette phrase est un axiome : « sans éducation, mes enfants n’auront pas d’avenir ».
Le bus dépose aussi Lijuan à son magasin de chaussures, son principal gagne-pain. Elle y travaille neuf heures, ponctuées d’appels téléphoniques avec des éducateurs et médecins, au sujet, bien sûr, des enfants.
A 18 heures, de retour, elle cuisine avec l’équipe du soir le riz et les légumes.
De 19 h à 22 h, elle dorlote, materne, écoute les garçons et les filles en mal de se raconter, les aide à faire leurs devoirs. A 23 heures, elle retourne au linge : séchage, ravaudage, reprisage, avant de rejoindre son lit à 1 ou 2 heures du matin.
Presque chaque semaine, des journalistes se relaient à sa porte – journaux, TV ou internet. Les commentaires sont souvent pleins de compassion – quoique certains apparaissent aussi acides, soupçonnant Lijuan de chercher la célébrité – mais ce genre de méchanceté n’a pas prise sur elle.
Paradoxalement les autorités, face à cette montée de sa renommée, cherchent à aider Lijuan. Mais elles se voient bloquées par un vide juridique absurde : dès qu’ils sont adoptés, ces petits perdent leur statut d’orphelins, et l’Etat perd sur eux toute responsabilité légale. Sa loi ne lui permet même pas de laisser Lijuan transférer un de ces mômes à une famille d’accueil quand cela se présente… Heureusement, sous la pression des média, aider le « Village d’amour », devient pour les cadres une obligation : depuis 2012, le Bureau des Affaires civiles de Wu’An lui verse 100 à 400 yuans par enfant par mois, complété par des livraisons de farine et de riz.
Et puis un autre soutien lui provient des enfants eux-mêmes, à force de devenir grands. Déjà cinq sont diplômés de l’université, dont une fille devenue fonctionnaire. Et les plus grandes ont déjà, ensemble, fait le serment, quand elles se marieraient, de prendre dans leur foyer un petit frère ou une petite sœur, pour alléger la charge de Lijuan.
Le ciel voit donc une embellie toujours plus forte chaque jour, et la malchance recule : Li Lijuan, un enfant dans chaque bras, se rappelle ce proverbe qui ne l’a jamais trahi : « le saule donne l’ombre, et la fleur, la lumière » ( 柳暗花明, liǔ àn huā míng). Aux heures les plus sombres, l’espoir ne cesse jamais de luire !
Sommaire N° 7 (2016)