Le 19 février, la fête des Lanternes clôture les agapes du nouvel an lunaire, et la plus large migration humaine (春运 chūnyùn): 3 milliards de déplacements dont la majorité en bus, 415 millions en train, 73 millions en avion.
Le gala TV (春晚,chūnwǎn) fut un « succès phénoménal », avec 1,17 milliard de Chinois scotchés au petit écran et 900 millions de ¥ offerts dans la nuit par enveloppes rouges (红包 hóngbāo) virtuelles.
Un temps fort fut la danse réglée comme une horloge de 20 000 élèves du temple Shaolin (cf photo). Un magicien, pourtant célèbre, devint la risée du pays en ratant un tour de passe-passe. Au total, la CCTV fit état de 97% de téléspectateurs satisfaits… Sans source indépendante bien sûr, pour corroborer !
Partout dans les foyers et les restaurants, ce fut un défilé ininterrompu de banquets, mets traditionnels ou plus rares, locaux ou importés, où souvent le porc manquait à l’appel—un comble, alors que c’était l’animal dont le pays honorait le signe ! Mais six mois de pandémie de fièvre porcine avaient causé une baisse de 20% de la production.
Aujourd’hui, pour défendre le porc, certains activistes montent au créneau et dénoncent l’islamisation inquiétante de la société : ils s’insurgent contre les menus « halal » des restaurants universitaires ou des avions. Par rapport aux dernières années du Cochon (2007 ou 1995), l’évolution des mentalités apparaît saisissant : hier, dans un souci officiel de ménager les sensibilités des minorités musulmanes, toute publicité pour le porc était bannie.
La dernière bouchée avalée, des millions se ruèrent vers les salles obscures : en une semaine, « The Wandering Earth », le dernier film de science-fiction chinois, récolta 311 millions de $ au box-office. Victime de son succès, des dizaines de copies piratées circulèrent sur internet, au grand dam des producteurs qui ameutaient en vain les autorités.
Au festival de Berlin, un autre film eut moins de chance : « Une seconde » de Zhang Yimou, fut retiré au dernier moment, sur ordre de Pékin. A ce qui se murmurait, c’était en raison du thème, la Révolution Culturelle, toujours mal vu auprès de certaines instances…
Outre les étrennes, les Chinois s’inondèrent de cadeaux avec une préférence cette année aux enceintes connectées et aux produits cosmétiques, dixit Alibaba. 149 milliards de $ furent dépensés (+8,5%). Mais la tendance ne doit pas tromper : c’est la hausse la plus faible en une décennie, signe d’une croissance qui cale. Autre indice abondant dans le même sens, la croissance du PIB de 2018 à +6,6%, est la plus basse en 28 ans.
A titre de relance, le pouvoir doit envisager de s’attaquer aux mesures reportées depuis six ans, mais auxquelles il est idéologiquement hostile. En 2013, il promettait de concéder plus de rôle au marché et de lâcher sa protection des entreprises d’Etat endettées. Mais il n’en a rien été : les deux-tiers aujourd’hui continuent à perdre de l’argent, tandis que le secteur privé a fait l’objet d’une attaque en règle l’an passé. Au contraire, les groupes d’Etat nantis de leur monopole et d’un accès privilégié au crédit, amassaient des profits records de 1200 milliards de yuans. C’est ce qui incite Nicholas Lardy, économiste très respecté de l’Institut Peterson, à avertir du prix à payer demain, si la Chine continue de maintenir en vie les entreprises « zombies » dévoreuses de subventions, et de reporter la réforme de ce secteur public tirant la croissance vers le bas. Cependant le Président Xi Jinping, englué dans sa guerre commerciale avec les USA et les critiques internes, pourrait-il se désavouer en entamant une réforme qui lui donne l’air de céder aux pressions américaines ? A parler clair, cela apparaît hautement improbable.
Sommaire N° 6-7 (2019)