Ce mardi 17 avril 2018, Mei Yunqi, 47 ans, monteuse en à Yagang (Canton) était sortie à 17h57 avant la sonnerie—son patron l’avait laissée filer faire ses courses. Avec son mari et son fils, Yunqi avait migré à l’automne 2017 de sa banlieue de Wuhan (Hubei) pour gagner davantage. De concert, ils se battaient pour que leur fils puisse se marier l’année suivante. Il fallait pouvoir réunir la mise minimale pour obtenir l’emprunt de l’appartement du jeune couple—la fiancée apporterait l’ameublement—et payer aussi le banquet de 60 couverts.
Depuis leur départ pour cette banlieue cantonaise, parents et fils passaient leurs longues journées en différentes usines, et leurs courtes nuits dans un gourbi de 15m², trois matelas sur le béton, une table bancale, trois seaux en plastique retournés en guise de tabourets, une plaque chauffante. Leur seul « luxe » était un frigo cabossé qui préservait leurs repas.
Yunqi se hâtait donc sur la Yantai lu, avenue post-moderne aux tours décaties faisant vivre toute une faune, gargotes, magasins de seconde main, appartements miteux, hôtels borgnes, et ateliers semi-clandestins comme celle qui l’employait à 3500 ¥ par mois.
Jamais au repos, la rue besogneuse scintillait de néons rouges et jaunes criards de bars et karaokés. Deux blocs plus loin se trouvait le marché, qui fermerait dans 30 minutes. C’est pourquoi elle se hâtait, cabas en main, concentrée sur sa liste d’humbles achats : 3 poireaux, 1 concombre amer, 4 « liang » (200 grammes) de farine pour ses bouchées vapeurs, du lard et gingembre. Le nez au sol, elle ne vit pas le ciel lui tomber sur la tête, sous la forme d’un chien jaune à poil ras, faisant bien ses 35cm au garrot. Sous le choc, Yunqi s’effondra inanimée. Un instant groggy, l’animal relevait la tête, tentait de se redresser, bientôt y parvenait pour s’éloigner à petit trot, frayant son passage parmi les curieux agglutinés autour du point d’impact.
Yunqi se réveilla sous les néons en salle de réanimation à l’hôpital de Baiyun. Il lui fallut une heure pour reprendre conscience, par vagues successives de perception floue et d’élancements de douleur. Dans son champ de vision limité par les bandelettes, elle se devinait intubée, sous perfusion, plâtrée du torse à la tête. A son chevet, veillaient son mari et son fils, les yeux rouges des heures passées dans l’incertitude de la voir rémérer. Repassant la voir, le chirurgien ne lui fit aucun mystère de la gravité de son état : surprise par la chute de ce chien de 20 kg, elle n’avait pas eu le réflexe de raidir son dos, ses épaules. Sa nuque avait absorbé tout le poids du choc, de la 3ème à la 5ème cervicale, la faisant se ployer à 90°. Moelle épinière atteinte, elle souffrait de lésions peut-être irréversibles. Elle devait remercier le ciel d’être en vie, et accepter sa nouvelle condition de tétraplégique. Tentant de remuer ses orteils et ses doigts, elle vérifia instantanément la vérité du diagnostic : ses membres ne réagissaient plus. L’urgentiste lui avait posé une sonde pour lui éviter de s’étouffer, et un goutte-à-goutte lui injectait des sédatifs contre la douleur qui malgré tout l’attaquait avec force grandissante. « Nous n’avons pas d’idée de vos chances de récupération » poursuivit l’homme en blanc. Avant de suggérer à Yunqi de faire allumer des bâtonnets d’encens au prochain temple, et de prier !
Comme si ces malheurs ne suffisaient pas, d’autres suivirent sans tarder. Décidément, se dit le mari, sa femme était bien « l’étoile du tigre blanc » (baihuxing, 白虎星), celle qui attire la scoumoune, le guignon de l’univers. Car faute d’assurance, ils allaient devoir faire face seuls au malheur ! L’hôpital leur avait bien fait une fleur en opérant Yunqi sans paiement préalable, mais dès la réanimation, le comptable vint présenter à ses proches la note en dizaines de milliers de yuans. Suivirent les soins prescrits par le médecin, un massage du torse et des membres toutes les 2 heures, pour prévenir l’atrophie, deux visites hebdomadaires auprès du spécialiste. Le trio dut aussi quitter leur logement et vivre à l’hôtel. C’était la seule manière pour que Yunqi puisse disposer d’une surveillance constante tout en permettant à ses hommes de garder leur emploi.
Avec tous ces frais, leurs économies fondaient au soleil. 20% de la cagnotte était déjà partie : la famille de la promise se mettait à chercher ailleurs, un autre mari en état de payer la dot qu’eux-mêmes n’avaient notoirement plus aucune chance de payer !
Mais de tout ce drame, au fait, qui était responsable, et qui paierait ? C’était la grande question, et pas seulement pour la famille. La tour d’où avait chu le chien était identifiée. Aux quatre coins du pays depuis des semaines, le clip de la vidéo de surveillance passait en boucle sur les réseaux sociaux, montrant au ralenti la boule de poil et de chair en chute libre sur la passante, l’impact, la lente torsion du cou, le déséquilibre, le fracas des deux corps confondus.
Mais que faisait cet animal au 2ème étage d’un immeuble, dans un espace de production électronique, supposément hors poussière ? Et que lui était-il arrivé, pour tomber de la sorte ? Et comment s’appelait-il, et qui était son maître ? Le mystère était entier !
Pour Mei Yunqi et les siens, comment obtenir justice ? On le saura la semaine prochaine.
1 Commentaire
severy
19 février 2019 à 15:19Et moi qui croyais qu’il n’y a que des femmes à poils qui tombent des nues…