Le Vent de la Chine Numéro 6 (2025)

du 18 au 24 février 2025

Editorial : « Je vous déclare unis par les liens du mariage » : non merci
« Je vous déclare unis par les liens du mariage » : non merci

Qui veut encore passer devant Monsieur le Maire, ou plutôt devant le Bureau des Mariages ? En Chine, plus grand monde, à en croire les derniers chiffres du ministère des Affaires civiles. Avec seulement 6,1 millions d’unions enregistrées en 2024, les mariages ont chuté de 20,5% en 2024, atteignant leur niveau le plus bas en 46 ans.

« C’est du jamais-vu, commente Yi Fuxian, démographe à l’université de Wisconsin-Madison, même en 2020, le nombre de mariages n’avait baissé que de 12,2% à cause de la pandémie de Covid-19 ». De fait, le chiffre de 2024 représente un peu moins de la moitié du pic de 2013 (13,5 millions d’unions). Est-ce l’effet de l’ « année veuve », configuration du calendrier lunaire de mauvais augure pour les mariages selon la croyance populaire ? Pas seulement… En effet, hormis un rebond enregistré en 2023 (7,7 millions) – sorte d’année de rattrapage après les privations liées au Covid-19 – le nombre de mariages n’a cessé de diminuer depuis cette date…

Cette lente dégringolade est due à une multitude de facteurs. Il y a un bien sûr la baisse structurelle du nombre de jeunes en âge de se marier (la tranche des 25-34 ans) ; le coût élevé d’un mariage ; l’émancipation des femmes chinoises, moins désireuses de se marier après être devenues indépendantes financièrement ; le taux de chômage élevé chez les jeunes ; mais aussi les idées préconçues voulant par exemple que les femmes célibataires de plus de 27 ans seraient « périmées » ou encore qu’un homme ne puisse épouser une femme plus diplômée que lui…

Les internautes ne sont pas étonnés par ces chiffres : « Je mène une vie trop fatigante, trop stressante, et je n’ai tout simplement pas le temps de tomber amoureux », explique l’un d’entre eux. « Qui voudrait se marier aujourd’hui si on ne peut pas se permettre d’acheter une maison, de payer la dot, d’avoir des enfants, de les envoyer à l’école, ou encore de se soigner lorsqu’on tombe malade ? », déplore un autre.

Cette chute des mariages constitue un revers significatif pour le gouvernement qui lutte activement contre le déclin de sa population, provoqué en partie par la politique de l’enfant unique en vigueur pendant près de 35 ans. En effet, une baisse du nombre de mariages entraînera nécessairement une baisse à court terme du nombre de naissances, se marier étant une condition essentielle pour ceux qui veulent fonder une famille, du moins en Chine. Ainsi, les couples non mariés doivent officialiser leur union s’ils veulent bénéficier des mêmes services de santé et d’éducation que leurs homologues qui se sont passés la bague au doigt.

Or, à l’exception de l’année 2024, qui a enregistré un léger rebond de l’activité dans les maternités attribuable aux couples ayant préféré retarder leur projet parental durant les années Covid ou au zodiaque chinois, 2024 étant placée sous le signe auspicieux du Dragon, les naissances sont, elles aussi, en déclin. Le phénomène est tel que les crèches et les maternelles ferment les unes après les autres…

Sous cette perspective, le démographe Yi Fuxian, aux prédictions souvent alarmistes, anticipe une chute significative des naissances en 2025 (entre 7,4 et 7,9 millions, contre 9,24 millions en 2024). Sur le long terme, cette baisse de la natalité pourrait venir peser sur la consommation et sur la main-d’œuvre disponible, met-il en garde.

La Chine n’est pas la seule nation confrontée à ce phénomène. D’autres pays développés connaissent également une baisse des mariages et une diminution générale des naissances. Et comme les autres pays, la Chine peine à inverser la tendance.

Les incitations financières (souvent qualifiées d’insuffisantes) n’ont pas fonctionné, pas plus que les tentatives de réduction des dots versées par la famille du futur mari, l’allongement du congé parental, les mesures rendant la procédure de divorce plus longue et difficile ou les coups de fil des agents du planning familial aux jeunes mariés. Malgré ces efforts, les appels de Xi Jinping à un retour aux valeurs familiales traditionnelles ont toutes les chances de rester lettre morte…