Fine silhouette habillé d’un t-shirt et d’un jean, visage étroit mangé par de grosses lunettes, le jeune Zhang rentre dans son studio du quartier de Jing’an. Bien qu’installé là depuis plus d’un an, des cartons empilés traînent encore, aucun cadre n’est accroché. Un canapé-lit Ikea, une table et quelques lampes constituent le seul mobilier de ce studio plutôt clair. La vieille Madame Zhu, membre actif du comité de quartier et voisine de palier, ouvrirait grand la bouche sans en faire sortir un seul son – et ce serait vraiment rare ! – si elle savait que ce jeune homme plutôt timide – « et qui, le pauvre, n’a pas l’air de bien gagner sa vie, c’est pour ça qu’il n’est pas encore marié, mais que font-ils ces jeunes ?! » – a été le plus jeune étudiant admis à l’université – 11 ans ! – et le plus jeune étudiant diplômé de Chine. Un jeune prodige dont les photos et les vidéos ont fait la une des médias en 2005. Sur l’une d’elles, Zhang, encore enfant, est assis sur un lit superposé dans une minuscule chambre d’université, son père à ses côtés. Sur une autre, il est accueilli par des dizaines de personnes à son arrivée à l’université. Le directeur est là, rubans rouges et flonflons officiels, Zhang Xinyuang semble tétanisé par la timidité, un petit garçon propulsé dans un monde d’adulte. Seuls ses parents se montrent à l’aise, leur fierté est immense et bien visible. L’enfant s’avère prodige, il n’y a rien à y redire. Il saute des classes comme d’autres jouent à la marelle, chaque manuel qui lui passe sous les yeux s’imprime dans sa tête sans effort.
Parents, professeurs, tous s’accordent à prédire un brillant avenir à Zhang Xinyuang et le garçon, docile, continue sur sa lancée. En 2011, à 16 ans, il est le plus jeune étudiant en PhD de Mathématiques Appliquées à la prestigieuse Beihang University de Pékin, l’une des meilleures universités chinoises. Pour lui, originaire d’une ville de 4e rang de la province de Liaoning, c’est-à-dire une petite ville de province de moins de 150 000 habitants, l’arrivée dans la capitale est un choc et une opportunité. Il faut trouver à se loger et Zhang Xinyuang tout d’un coup, commence son adolescence. Puisqu’il sacrifie sa jeunesse aux grands rêves de ses parents, que sacrifient-ils de leur côté ? Quels efforts fournissent-ils ? Ils n’avaient pas eu besoin de veiller à ses études, Zhang Xinyuang prenait plaisir à étudier sans relâche et ses facilités le dispensaient d’aides additionnelles. Enfant très sensible, être aimé de ses parents en les satisfaisant restait l’unique affaire de sa jeune vie. Ces derniers n’avaient pas cru bon de l’inscrire à des activités extrascolaires, cela lui ferait perdre du temps et eux de l’argent, il devait rester le plus jeune prodige de Chine, il devait continuer d’aller plus vite que tous les autres. Alors, il a étudié tous les jours, sur son lit, sur la table de la pièce commune dans leur petit appartement. Il n’a pas eu le temps d’avoir des amis, de rêver, de jouer, de tomber amoureux, de perdre du temps justement.
À Pékin, tout d’un coup, il a commencé à se rebeller, à exiger l’achat d’un appartement ou il abandonnerait ses études. Affolés mais incapables d’accéder à sa demande, ses parents lui ont menti, en ont loué un en prétendant qu’ils l’avaient acheté. La supercherie a fonctionné un moment. Pour Zhang, le succès, aligné sur les vœux de ses parents, consistait à acheter un appartement, trouver un bon job, obtenir le hukou pékinois et devenir officiellement résident de la capitale. Le mensonge découvert, Zhang a quand même fini son PhD à 19 ans, enseigné deux ans comme maître de conférence dans une université d’une province lointaine et puis il a démissionné. Pour beaucoup, il n’a plus rien fait. De son point de vue, il a enfin commencé à vivre. Installé comme freelance dans cet appartement shanghaien loué, il n’hésite pas à demander un appoint financier à ses parents quand c’est nécessaire. Ils me doivent bien ça, dit-il sans gêne. À tous les parents-jiwa « poulets » (terme inspiré d’un traitement de la médecine chinoise injectant à une personne du sang frais de poulet pour stimuler son énergie) qui ont remplacé les mères tigres dans la Chine de ces dernières années, il rappelle que le sang injecté – cours particuliers, activités extrascolaires, temps optimisé, argent investi – n’aideront pas leurs enfants à mûrir, bien au contraire. À vouloir tout forcer et précipiter, le risque est grand de laisser le poussin jeune et immature (yu mao wei feng, 羽毛未丰), son plumage à jamais inachevé.
Zhang Xinyuang a encore de grandes choses à accomplir insiste l’un de ses professeurs. Certes. Peut-être faut-il d’abord lui laisser le temps de grandir ?
Par Marie-Astrid Prache
NDLR : Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article s’inspire de l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors de l’ordinaire, inspirée de faits rééls.
1 Commentaire
severy
26 février 2024 à 22:01Très intéressant. Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Quel gâchis!