C’est une défaite qui a miné le moral des supporters chinois à la veille des Jeux olympiques d’hiver : celle de l’équipe nationale de football face au Vietnam (3-1) lors de la dernière phase de qualification pour la prochaine Coupe du Monde au Qatar (21 novembre).
Cet échec a définitivement privé la Chine d’une participation au Mondial 2022, vingt ans après sa seule et unique qualification. Surtout, il cadre mal avec l’image d’une montée en puissance irrésistible de la Chine que le gouvernement cultive ces dernières années.
Ce résultat n’est pourtant pas surprenant en soi : la Chine pointe actuellement à la 74ème place du classement FIFA et n’a remporté aucun de ses sept derniers matchs. Mais s’incliner devant la modeste équipe vietnamienne (98ème) – qui plus est le premier jour du Nouvel An lunaire (1er février) – a fait enrager les supporters et les médias, qui ont dénoncé l’attitude des joueurs et réclamé le démantèlement de l’équipe, voire une refonte totale du programme national.
« Si vous attachez un morceau de porc braisé au but, un chien démontrerait plus d’enthousiasme à frapper le ballon que les joueurs », s’est lamenté un internaute. « Un tel score, une telle défaite…c’est inacceptable pour tous les fans. Qu’avons-nous appris durant les deux dernières décennies ? », s’est révolté un autre. Même le très officiel Quotidien du Peuple y est allé de son commentaire : « l’équipe nationale a perdu un match qui ne devait et ne pouvait pas être perdu ». Cette crise est comparable à celle de 2013, consécutive à une défaite contre la Thaïlande.
Il est en effet inconcevable pour les supporters qu’un pays avec une population de 1,4 milliard d’habitants ne soit pas en mesure de trouver onze joueurs capables d’amener la Chine en Coupe du monde. « Nous, les fans, savons critiquer, mais nous ne sommes pas aussi nombreux à savoir jouer », modère un utilisateur de Weibo. À juste titre : « lorsque l’on compare les joueurs de football professionnels enregistrés dans des pays comme l’Allemagne ou l’Angleterre dont la population ne représente qu’une fraction de la nôtre, leur nombre est dix fois plus élevé. Or, il y a seulement quelques milliers de joueurs professionnels en Chine (entre 2000 et 4000) », souligne un autre.
Cinq jours après cette débâcle masculine, l’équipe féminine (19ème du classement FIFA) a suscité une ferveur inédite en remportant la Coupe d’Asie contre la Corée du Sud (3-2). Ce 9ème titre intervient 16 ans après leur dernier sacre. Sur Weibo, le hashtag de leur victoire a été vu plus de 2,4 milliards de fois.
D’après de nombreux spectateurs, la performance des « roses d’acier », tel est le surnom de l’équipe (铿锵玫瑰), a permis de « sauver l’honneur et la dignité du football chinois ». Un internaute s’est même aventuré à comparer l’équipe masculine à « un fils prodige qui a accaparé toutes les richesses de ses parents, mais qui se retrouve sans rien », et l’équipe féminine « à une fille qui a longtemps été ignorée par sa famille, mais qui réalise des prouesses ».
Ce contraste entre les résultats des deux équipes a suscité un débat autour de la rémunération des joueuses féminines, moins exposées médiatiquement que leurs compatriotes masculins et donc moins payées. « À travail égal, salaire égal », réclament les supporters. Selon un rapport de l’association chinoise de football (CFA) datant de 2018, seules 20% des joueuses gagneraient plus de 10 000 yuans par mois. Face à cet emballement médiatique, les sponsors de l’équipe, le géant laitier Mengniu et le leader du paiement mobile Alipay, se sont empressés d’offrir des bonus aux joueuses et au staff pour un total de 23 millions de yuans.
Néanmoins, cette victoire féminine peine à cacher les nombreuses déficiences d’un système qui donne la priorité aux résultats de court terme et à son équipe nationale (masculine), au détriment des investissements de long terme et d’une pratique du football loisir « à la base ». Or, le salut du ballon rond dans l’Empire du Milieu ne peut que venir de l’engouement spontané des masses, d’une pratique accrue au sein de petits clubs au niveau local, et d’une meilleure détection des jeunes talents. En d’autres termes, la passion pour le ballon rond ne doit pas venir d’en haut, mais d’en bas.
Sommaire N° 6 (2022)