Un grand froid s’est posé sur le mercato d’hiver des clubs de football chinois. La folie acheteuse de 2016 ou 2017 a laissé place à une insolite léthargie. La cause n’est pas la chute des thermomètres, mais la dernière taxe de la CFA (Association nationale de Football), prélevée désormais sur les transferts de joueurs étrangers. Tout montant déboursé au club d’origine doit être accompagné du même pactole pour la CFA !
Outre cette taxe, d’autres règles ont été mises en place pour forcer les clubs (principalement ceux fortunés, des grandes villes) à privilégier la formation de leurs juniors sur l’importation de stars, et alimenter un fonds de soutien à la formation de la jeunesse.
Ainsi, sur intervention du Président Xi Jinping, le football a été rendu « obligatoire » au programme des écoles depuis 2014, reconfirmé en août 2016. Actuellement, seuls 3.7% des Chinois de 15 à 54 ans ont fait du foot durant les 12 derniers mois.
Car dans les faits, les écoles font face à une pénurie d’instructeurs et surtout de terrains (l’Etat veut en disposer de « 50.000 en 2025 »). C’est d’ailleurs pour cette raison que les promoteurs immobiliers rachètent les clubs de foot (reprises du Guo’an par Sinobo à Pékin en 2017, du Hebei par China Fortune en 2015, du Shanghai Shenhua par Greenland en 2014, des deux clubs de Guangzhou par Evergrande et R&F en 2010…), attirés par un accès au sol privilégié et à bas prix.
Le risque de rendre obligatoire ce sport à l’école est de voir les élèves prendre des cours privés de foot, uniquement pour obtenir de bonnes notes, mais sans l’avoir réellement choisi, sans motivation ou plaisir du sport.
Pour la minorité rêvant de faire carrière, les parents devront mettre la main au portefeuille. « La décision de rendre le football accessible à tous à l’école est inédite. Cependant, on constate l’essor d’une offre payante que nous ne connaissons pas en France. A l’instar des Etats-Unis, le ‘Pay to Play’ est assez répandu en Chine », explique Romuald Nguyen, représentant en Chine de la FFF (Fédération Française de Football). Les « pros » de demain, risquent d’être sélectionnés, non parmi les plus doués, mais parmi ceux aux parents les plus riches. Le centre de formation du Guangzhou Evergrande, à Qingyuan (Guangdong) coûte 7.500€ par enfant et par an.
Par ailleurs, ces enfants se trouvent en internat, coupés de leur famille qu’ils ne peuvent retourner voir le week-end, séparés par des centaines voire milliers de kilomètres. Selon Christian Damiano, depuis septembre 2017 directeur technique national à la CFA, auprès de l’actuel sélectionneur Marcelo Lippi, « cette situation est dommageable, le lien avec les parents étant essentiel à ce stade de l’adolescence, pour permettre au jeune de trouver son équilibre sans lequel enthousiasme et passion pour le foot ne peuvent grandir ».
Pour y remédier, le groupe chinois Shankai Sports Travel, spécialisé dans le tourisme sportif, en accord avec la FFF, a déjà envoyé 20 jeunes Chinois en stage au Centre de Clairefontaine en août dernier. Durant les deux semaines où ces jeunes se sont entrainés, les parents n’étaient pas loin, en tourisme dans la capitale. Un programme qui sera proposé jusqu’en 2020—au moins.
La France assure aussi sa part dans la formation des entraîneurs chinois. Ils étaient 240 en septembre 2017, pour trois mois dans 6 universités françaises – c’était la troisième promotion annuelle. Les formateurs français tentent de remédier aux méthodes chinoises, qui ont tendance à brûler les étapes, avec des charges physiques trop importantes. « La priorité doit être donnée sur le jeu collectif, à l’agressivité positive sur le ballon, afin d’améliorer la qualité technique des joueurs et développer la passion de jouer », commente C. Damiano.
Ce retard du football chinois se lit aussi dans l’opinion, constate Pierre Justo, de l’Institut de sondage CSM Media Research : il n’arrive qu’en 5ème position derrière ping-pong, badminton, basket et volley. En Europe, il est le sport populaire par excellence, mais en Chine, il attire des classes plus aisées et pas forcément les plus jeunes : 70% des téléspectateurs ont entre 25 et 54 ans, et habitent surtout en ville—390 millions sur 800 millions de citadins.
L’intérêt pour le football fluctue d’ailleurs selon les villes. Par exemple, Dalian récolte un des plus hauts scores avec 72% d’intérêt, la ville étant considérée comme le berceau des clubs professionnels en Chine. A Pékin par contre, on tombe à 34%, les supporters du Guo’an désapprouvant la gestion du club par ses dirigeants. De plus, l’intérêt du public dépend très largement de la performance de l’équipe. Le Guangzhou Evergrande caracole, plusieurs fois champion de la CSL, et ayant remportée la Coupe d’Asie (AFC) à deux reprises. Les matchs de qualification pour la Coupe du Monde sont toujours très regardés par un public chinois très patriote – même si l’équipe nationale elle, est en pleine traversée du désert, faute de s’être qualifiée pour 2018.
Typiquement, les supporters sont acquis à leur club local, et n’iront pas soutenir l’équipe d’une autre ville. Mais la vraie clé de la popularité du foot en Chine est l’international. Ce sont les clubs étrangers qui font rêver : Real Madrid CF & FC Barcelone, suivis d’un AC Milan en perte de vitesse.
En France, dont le football est parti tard à la conquête du marché chinois, un seul club aurait le potentiel de se hisser dans le top 10 : le PSG propulsé par ses stars comme Neymar ou Mbappé. En attendant de voir diffuser ses matchs de L1 à la TV chinoise, la FFF et la LFP organiseraient le Trophée des Champions le 4 août à Shenzhen (sous réserve de confirmation), match amical entre vainqueurs de la Coupe et du Championnat de France.
Sommaire N° 5-6 (2018)