Défense : Les habits neufs de la grande muette

La réforme de l’Armée Populaire de Libération (APL) vise à bouleverser de fond en comble cette vénérable maison, une des premières institutions du PCC en Chine, fondée le 1er août 1927. Le Président Xi Jinping a tiré la 1ère salve en septembre 2015, avec une réforme « au dessus du col » : celle du haut commandement, tout en annonçant le départ (aujourd’hui effectif) de 300.000 hommes. Xi avait ses raisons à s’intéresser aux leaders en kaki. Son grand rival Bo Xilai, en 2012, avait envisagé un coup d’Etat en s’appuyant  sur le  corps d’armée fondé par son père, et la Police Armée sous la coupe de Zhou Yongkang. Deux autres têtes de l’Etat major, Xu Caihou et Guo Boxiong, avaient également été arrêtés.

Ont été mis à la retraite 50 officiers supérieurs dont 18 généraux. Parmi ceux-ci figurent les patrons de l’Université et de l’Académie de l’APL, deux hommes de l’entourage de l’exPrésident Jiang Zemin (Du Jincai et Jia Tingan), l’amiral Sun Jianguo (patron de la logistique) et le général Li Zuocheng, à la tête de l’infanterie.

D’autres officiers sont limogés pour corruption, dont 7 généraux y compris le commandant du corps de la police armée, que Xi voulait écarter. Tombent aussi 50 majors généraux et des commissaires politiques, tel l’ex-patron des forces aériennes.

Les 4 « départements » commandant les 4 armes (infanterie, marine, aviation, missiles) sont remplacés par 15 « bureaux » directement placés sous la Commission Militaire Centrale, dont Xi tient les rênes. C’est bien sûr pour s’assurer la loyauté, mais aussi pour raccourcir le temps de réponse aux ordres centraux, et coordonner plus étroitement ces forces. La prééminence de l’infanterie disparaît : marine et aviation passent au 1er plan. Et les 7 régions militaires sont redécoupées en 5.

La réforme vise à réduire le nombre des unités combattantes et alléger la chaîne de décisions pour accélérer l’exécution des ordres. Le haut commandement est rajeuni – l’âge implicite de la retraite au plus haut niveau est 63 ans. Ainsi Shen Jinlong, nouveau commodore de la marine en remplacement de Wu Shengli (71 ans), atteint tout juste ses 60 ans.

Corps d’armée et régiments doivent être refondus en brigades, plus petites et mobiles. Suivant les modèles de l’US Army et de l’armée russe (aussi en pleines réformes), une force d’intervention rapide voit le jour, au rayon d’action en milliers de km. C’est pour elle que sont mis en production massive les transporteurs lourds (quadriréacteurs) Y-20, le chasseur furtif J-20, et le second porte-avions, de design également soviétique.

A ceci s’ajoute le missile balistique longue portée Dongfeng 5C à 10 têtes nucléaires, testé en janvier, à portée de la côte Ouest des Etats-Unis, et la corvette  CNS Ezhou (513), 89m par 11m pour une vitesse de 52km/h, bourrée d’électroniques et disposant d’un hélicoptère anti-sous-marin.

Sous l’angle du commandement, la grande innovation sera le remplacement de la promotion par grades (qui sont au nombre de 15), par celui selon les rangs (qui sont 10). Zhang Yang général et membre de la CMC, en attend une meilleure réflexion des compétences réelles du titulaire—les grades permettant trop de dissimuler dans l’armée des êtres sans autre capacité que leurs pistons et leur appartenance à une famille de l’aristocratie révolutionnaire. 

La formation et l’entrainement sont deux autres points importants. Pour Xi Jinping, la performance de l’armée chinoise est essentielle. Elle permettra à la Chine de se faire respecter, de faire pression sur ses voisins, de reprendre Taiwan si elle le veut. Et cette caste militaire hier trop souvent désœuvrée, sera désormais plus souvent sur le terrain, évitant ainsi la tentation de faire de la politique…

Déjà en 2016, sous le commandement des nouveaux hommes nommés par Xi Jinping, l’aviation a mené six manœuvres au dessus du Pacifique-Ouest et de la mer de Chine du Sud. La marine a fait trois manœuvres, avec ses trois flottes, du Nord, de l’Est et du Sud. L’infanterie a réalisé 100 exercices terrestres à 15 brigades, et l’arme « balistique » a procédé à 20 exercices, et au tir de 100 missiles.

A présent, le régime entre dans sa seconde phase critique de la réforme militaire, celle dite « en dessous du col ». En effet, il s’agit de réduire le nombre des officiers, d’augmenter leurs compétences, de réduire la taille des unités combattantes. Tout ceci signifie des coupes massives de postes parmi le commandement intermédiaire, ainsi que la réduction de pouvoirs et privilèges salariaux ou autres. Là, le gouvernement danse sur des œufs, et doit se « hâter lentement ». D’une part, un nombre raisonnable de capitaines, commandants et colonels doivent accéder à la retraite sans voir leur carrière brisée ; et de l’autre, le régime doit trouver les fonds pour limoger certains avec compensations. Nombre de ces officiers ont attendu des années leur dernière promotion. S’ils étaient « limogés » sans décorum, le régime risquerait mutineries et manifestations, comme celles d’octobre et novembre dernier devant le siège de la CMC à Pékin.  D’où l’insistance intense et permanente de Xi Jinping, de pouvoir s’assurer de la loyauté « absolue » du commandement. Le passage du « grade » au « rang » ne doit d’ailleurs passer en phase active qu’à l’été, juste avant le XIX Congrès d’octobre – sage précaution !

Enfin, selon l’expert américain Kenneth Allen, au vu du volant d’inertie de cette immense armée, la réforme risque de prendre du temps. Le grade restera longtemps la norme, vu le nombre de gradés prêts à défendre leur pré carré. De même, il sera bien difficile de refondre en brigades tous les grands corps militaires historiques. Et selon cet auteur, l’enjeu réel est ailleurs : dans le style de réactivité, les stratégies de terrain que saura déployer cette armée de 2 millions de soldats, sous sa nouvelle voilure. L’effet de la mutation ne sera pas perceptible avant des décennies, peut-être…

 

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