Hasard du calendrier : en l’espace de 24h, les dirigeants des deux premières puissances mondiales ont prononcé des discours majeurs début février, chacun cherchant à affirmer la supériorité, notamment idéologique, de son pays vis-à-vis de l’autre.
S’adressant aux nouveaux membres du Comité central réunis à l’Ecole du Parti, Xi Jinping a explicitement vanté les mérites du système de gouvernance chinois, tout en taclant les modèles occidentaux. « Le mythe selon lequel la modernisation est nécessairement occidentale a vécu », a-t-il déclaré. « En quelques décennies, nous avons réussi à accomplir le même processus d’industrialisation qui a pris des siècles entiers aux pays occidentaux », a vanté le Secrétaire général du Parti. « La voie chinoise a démontré qu’un modèle de modernisation différent de celui occidental est possible », a-t-il renchéri, tout en invitant les pays en développement à suivre l’exemple chinois, quoique Pékin ait toujours nié vouloir exporter son modèle.
Ces propos sont à marquer d’une pierre blanche puisque c’est la première fois que Xi affirme aussi clairement que le système chinois est en compétition avec le « capitalisme occidental ». « Il est nécessaire d’être plus efficace (comprendre, plus productif) que les pays capitalistes, mais aussi de préserver plus efficacement l’équité sociale (référence indirecte au concept de « prospérité commune ») », a précisé Xi Jinping. Ces déclarations rappellent que les vues du leader en matière de développement économique sont loin d’être libérales et relèvent davantage du capitalisme d’Etat. C’est également une manière d’avertir les membres du Parti que l’assouplissement actuel (sanitaire, immobilier, géants de la tech…) n’équivaut en aucun cas à un changement de cap et que les grandes priorités (auto-suffisance notamment) demeurent inchangées.
Quelques heures plus tard, outre-Pacifique, c’était à Joe Biden de prendre la parole devant les deux chambres réunies du Congrès. Dans son discours sur « l’état de l’Union », le Président américain a voulu faire preuve de fermeté vis-à-vis de la Chine et a souligné que les États-Unis étaient « dans la position la plus forte depuis des décennies pour concurrencer la Chine ou qui que ce soit d’autre dans le monde ». « Remporter la compétition contre la Chine devrait tous nous unir », a-t-il lancé à ses opposants républicains. Cela n’a pas empêché le locataire de la Maison Blanche de se dire déterminé « à travailler avec la Chine là où cela peut servir les intérêts américains ». En outre, le dirigeant qui a organisé « un sommet pour les démocraties » fin 2021 a également affirmé que celles-ci se sont renforcées ces dernières années tandis que les autocraties se sont affaiblies.
Plus offensif, il a mis au défi quiconque de « nommer un chef d’Etat qui aimerait prendre la place de Xi Jinping aujourd’hui », arguant que son homologue chinois fait face à « d’énormes problèmes », dont « une économie qui ne fonctionne pas bien ».
Enfin, en une allusion à l’affaire du ballon espion – ou météo, selon Pékin – qui a survolé le territoire américain, le Président Biden a affirmé que « si la Chine menace notre souveraineté, nous agirons pour protéger notre pays, comme nous l’avons fait (le ballon a été abattu par l’US Air Force) ».
L’incident a contraint le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, à reporter en dernière minute un déplacement très attendu dans la capitale chinoise, qui devait justement contribuer à apaiser les relations entre les deux grands rivaux stratégiques. Pékin, de son côté, a cherché à sauver la face en affirmant qu’il n’avait jamais confirmé cette visite.
A vrai dire, il est probable qu’aucune des deux parties n’aient réellement voulu annuler ce déplacement. Cependant, l’administration démocrate, sous pression des républicains, ne pouvait se permettre d’avoir l’air de se « dégonfler » face à cette « provocation ».
Il en va de même côté chinois. Après avoir initialement fait acte de contrition pour cette incursion involontaire de son ballon « météo » au-dessus du territoire américain, Pékin a ouvertement protesté contre la décision du Pentagone de le descendre.
Cet épisode vient démontrer que, malgré le fossé toujours plus grand qui sépare leurs deux pays, les occupants de Zhongnanhai et de la Maison Blanche ont plus en commun qu’ils ne veulent bien l’admettre. Tous deux sont persuadés que leur pays a l’avantage sur l’autre et tous deux se doivent de faire preuve de fermeté, sous peine de voir leurs opposants exploiter le moindre signe de faiblesse. Et c’est ainsi qu’une simple histoire de ballon prend des proportions alarmantes…
Sommaire N° 5 (2023)