Dans la nuit du 11 au 12 février, le monde chinois célébrera le passage à l’année du Buffle de Métal (牛年), succédant à celle du Rat de Métal qui marquait le début d’un cycle astrologique de douze ans. Le bovin incarne la force, la loyauté et la persévérance, mais aussi la fierté et l’énergie. Les natifs de ce signe peuvent être également suspicieux, chauvins et bornés.
Son caractère chinois, dont la graphie représente un bœuf et ses cornes, est employé dans de nombreuses expressions du langage courant, tel que « 牛人 » (niúrén, qui désigne un expert ou un dur à cuire), « 牛屄 ou 牛逼 » (niúbī, quelque chose de génial, ou quelqu’un de prétentieux), « 牛性 » (niúxìng, l’entêtement, l’obstination) ou encore « 吹牛 (皮) » (chuīniú, littéralement « souffler dans une peau de buffle », c’est-à-dire se vanter). De nombreux proverbes sont également inspirés par cet animal, tel « 对牛弹琴 » (duì niú tán qín, « jouer de la flûte à un bœuf », équivalent poétique de « donner de la confiture aux cochons »). Le Buffle est également à l’origine de l’une des quatre légendes du folklore chinois (celle du Bouvier et de la Tisserande, 牛郎织女), symbolisant la Saint-Valentin en Chine (fête de Qixi, célébrée le 7ème jour du 7 mois du calendrier lunaire).
Parmi les natifs célèbres du Buffle on peut citer Li Bai, célèbre poète de la dynastie Tang ; Xi Zhongxun (1913), le père du Président Xi Jinping, un des huit compagnons de Deng Xiaoping ; Li Xiaolin (1961), fille de l’ex-Premier ministre Li Peng, surnommée la « reine de l’énergie » ; Andy Lau (1961) l’acteur hongkongais et chanteur de cantopop ; Liu Qiangdong (1973), fondateur de JD.com ; Sun Wen (1973) l’ancienne capitaine de l’équipe féminine de football ; ou encore Wang Yibo (1997), pop-star en vogue.
Après une année du Rat mouvementée, le Buffle apporte un message d’espoir, l’année devant être propice à la reprise, à la croissance et au développement. Cependant, elle pourrait être caractérisée par un certain attachement à la tradition, voire par un retour au conservatisme. Gare aux risques de conflits (accrus par la rigidité de l’élément Métal), qui pourraient avoir des résultats désastreux s’ils ne sont pas traités avec sang-froid.
Car c’est bien en 1937 – année du Buffle – que la guerre-sino-japonaise a éclaté, et que l’armée impériale japonaise a commis le massacre de Nankin (150 000 à 300 000 morts). En 1949, autre année sous ce signe, le Kuomintang perd la guerre civile et bat en retraite à Taïwan. Les communistes prennent alors le pouvoir et Mao fonde la « Nouvelle Chine ». 1961, dernière année du Buffle de Métal, marque la fin de la Grande Famine, ayant couté la vie de 30 à 50 millions de Chinois. 1973 voit le retour en grâce de Deng Xiaoping, sauvé par Zhou Enlai. Douze ans plus tard, Xi Jinping s’envole pour son premier séjour à l’étranger, en Iowa. En 1985 également, plusieurs entreprises occidentales s’implantent en Chine, comme Peugeot, Accor, et bioMérieux… Framatome, EDF et GEC Alsthom débutent la construction de la centrale de Daya Bay. L’année 1997 est celle de la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Enfin, en 2009, la tour de la CCTV à Pékin prend feu le jour de la fête des Lanternes, les Ouïghours se soulèvent contre les Han à Urumqi (Xinjiang), et Liu Xiaobo est arrêté pour son projet de charte démocratique…
Quelles que soient les rebondissements que le Buffle nous réserve, la Covid-19 vient à nouveau jouer les trouble-fêtes pour le Nouvel An chinois. Conséquence de la résurgence du virus dans le Hebei, le Dongbei, à Pékin et à Shanghai, le gouvernement déconseille à ses citoyens de rentrer dans leur région natale. Un test PCR négatif de moins de 7 jours est désormais exigé pour tout voyage trans-provincial, tandis que l’entrée dans la capitale est désormais conditionnée à une surveillance médicale de deux semaines jusqu’au 15 mars (à la fin de la session du Parlement).
Pour inciter la population à limiter ses déplacements, les municipalités distribuent des coupons de réductions et des tickets d’entrée aux musées, parcs, stades… iQiyi, l’équivalent chinois de Netflix, propose également une sélection de films à visionner gratuitement. A Pékin, les trois grands opérateurs téléphoniques – China Mobile, Unicom, Telecom – sont censés offrir 20 gigas de données mobiles à leurs clients. A Shenzhen, les autorités en profitent pour expérimenter le futur yuan digital, en distribuant des primes aux travailleurs migrants pour qu’ils ne quittent pas la ville. Les agences d’intérim sont elles, censées leur trouver du travail pour les vacances. A Suzhou, Ningbo et Taizhou, les migrants se privant de voyage sont récompensés par des points supplémentaires pour obtenir leur permis de résidence (hukou).
Selon la plateforme de réservation Qunar, le prix moyen d’un billet d’avion pendant la période des congés (du 28 janvier au 8 mars), est de 615 yuans – niveau le plus bas depuis plus de cinq ans, reflet d’une chute des ventes de 73,7% par rapport à 2019. Le ministère des Transports lui, anticipe seulement 1,15 milliard de déplacements, soit une baisse de 60% du trafic comparé à deux ans plus tôt.
Sur les plateformes d’e-commerce, les consommateurs refoulent leur frustration de ne pas passer les fêtes en famille en achetant des appareils électroménagers et des repas préparés pour la soirée du Nouvel an (春晚). Faisant les frais de la polémique autour de ses conditions de travail, Pinduoduo voit son contrat de sponsoring de l’incontournable gala de la CCTV rompu en dernière minute. Il sera remplacé au pied levé par TikTok (Douyin), qui fait là une bonne affaire puisqu’il ne s’est acquitté « que » d’un milliard de yuans – 40% de moins que le précédent sponsor. En sus, Douyin envisage de distribuer pour 1,2 milliard de yuans d’enveloppes rouges virtuelles lors du show, dépassant ainsi les précédents records (900 millions pour Baidu en 2019, et 1 milliard pour Kuaishou en 2020). Mais cela suffira-t-il pour que le cœur soit à la fête ?
Sommaire N° 5-6 (2021)