Santé : Cerise sur la Covid-19

Cerise sur la Covid-19

Chaque année, les Chinois s’arrachent des quantités impressionnantes de cerises avant le Nouvel An lunaire, ces fruits symbolisant la richesse et la prospérité.

Seulement, l’annonce le 21 janvier que des traces de la Covid-19 ont été retrouvées à Wuxi sur une « cargaison importée » de cerises (sans en préciser l’origine), a coupé l’appétit aux consommateurs chinois – la nouvelle s’étant répandue comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux.

Pour le Chili, 1er exportateur mondial, qui envoie 90% de ses cerises en Chine, c’est une catastrophe. Les ventes au détail sont en chute libre : -63% d’une semaine à l’autre. « D’habitude, je les vends entre 160 et 300 yuans les 5 kg. Aujourd’hui, elles ne valent plus que 80 yuans », explique un vendeur de gros. Pour la saison 2020-2021, le Chili a envoyé vers l’Empire du Milieu 300 000 tonnes, contre seulement 1 500 pour l’Australie. Les cerises chiliennes représentent 60% des importations chinoises.

Sans tarder, le gouvernement chilien a mis en place, en partenariat avec les autorités chinoises, une campagne de promotion et de publicité de ses cerises pour restaurer la confiance des consommateurs. Les experts chinois du CDC ont expliqué que des tests positifs peuvent s’expliquer par la présence de traces du virus, mais cela ne veut pas dire que ces fragments sont infectieux. Même son de cloche le 23 janvier de la part du Dr Zhang Wenhong, connu pour son franc-parler : « il suffit de regarder les chiffres, la Chine a consommé des tonnes et des tonnes de nourriture importée, et à ma connaissance, il n’y a aucun cas documenté d’infection lié à ces produits venus de l’étranger ». Selon les données officielles, seul 0,48 emballage teste positif sur 10 000. Même la CCTV a tenté de dissiper les craintes des consommateurs. Sans succès… Les peurs des clients chinois ne disparaîtront pas du jour au lendemain.

Le fait que les autorités chinoises s’inquiètent aujourd’hui du sort des cerises chiliennes, interpelle. Mis à part les cerises, les crevettes équatoriennes, ailes de poulet venues du Brésil, jarrets de porc allemands, poissons russes, ont également été accusés d’être à l’origine des récents foyers d’infection sur le territoire chinois, sans preuve à l’appui, mais alimentant la suspicion chez les consommateurs chinois envers les produits importés de manière générale. Jusqu’à présent, la Chine est probablement le seul pays au monde à affirmer qu’ils représentent un risque d’infection, testant et désinfectant systématiquement toutes les cargaisons en provenance de l’étranger, aggravant l’engorgement de ses ports.

Pourquoi changer son fusil d’épaule maintenant ? Est-ce la présence des experts étrangers de l’OMS à Wuhan, qui a provoqué ce changement de ton ? Ce revirement est plutôt lié à l’approche du Nouvel An chinois. Les autorités sont sous pression pour que les festivités soient les plus réussies possible malgré le fait que les voyages soient désormais déconseillés à cause de la résurgence de la Covid-19. Il y a aussi l’inflation des produits alimentaires locaux, conséquence des fortes inondations de l’été passé, d’un hiver très froid, et des perturbations logistiques liées au virus. Un panier de 19 légumes (pommes de terre, piments, tomates, oignons…) est en moyenne 28,2% plus cher que l’an dernier. Le prix de certains légumes, comme le chou chinois, le chou-fleur, le radis blanc, a presque doublé, sans parler de celui du porcviande favorite des Chinois – qui approche des prix de 2019, en pleine épidémie de fièvre porcine.

Quoi qu’il en soit, le fait que les autorités chinoises viennent au secours du Chili permet d’écarter l’hypothèse que la Chine se sert de ce prétexte sanitaire pour « punir » certains pays, Pékin n’ayant aucune intention de sanctionner Santiago. Le pays vient d’ailleurs d’approuver l’utilisation d’urgence du vaccin de Sinovac et d’en recevoir deux millions de doses.

Ce qui est sûr c’est qu’à l’échelle locale, aucun cadre ne veut endosser la responsabilité d’un foyer d’infection, craignant de subir le courroux de Pékin. Dans ce cas, les produits importés deviennent une cible facile, leur permettant de se dédouaner de tout laxisme en matière de prévention épidémique, sans avoir besoin de prouver leurs dires. À l’échelle nationale, Pékin préfère sans aucun doute « prévenir que guérir », partant du principe que le risque zéro n’existe pas. Toutefois, l’affaire des cerises chiliennes devrait lui faire réaliser que cette politique pourrait potentiellement attiser le mécontentement de sa population, habituellement friande de ces produits importés, et donc affecter la stabilité sociale. En sus, Pékin prend le risque de se mettre en porte à faux avec ses partenaires étrangers… pour des queues de cerise.

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