Agriculture : Les très riches heures chinoises de Syngenta

Sous bien des perspectives, le rachat de Syngenta par ChemChina le 3 février fera date dans l’histoire agricole, comme le moment où la Chine changea de politique pour relancer son monde rural en une génération par application massive de technologies. Rien ne sera plus comme avant ! 

Rien que le prix payé fait dresser l’oreille : 43 milliards de $, record chinois pour une reprise étrangère.
Syngenta est n°3 mondial des semences de grandes cultures et semences potagères. Issu de la fusion (2005) de Novartis (Suisse) et AstraZeneca (britannique), il réalisait 13,4 milliards de $ de ventes en 2015, avec 28.000 actifs. 

Quoique important, le repreneur est peu connu, tout comme Ren Jianxin, son très discret fondateur, qui créa la société en 1984, grâce à un « prêt public » de 10.000 ¥, pour faire du « nettoyage industriel ». 22 ans après, le statut étatique du groupe ne fait plus de doute, pas plus que sa vocation de chimie fine et d’agrochimie. Ces métiers en aval du pétrole rapportaient moins que l’or noir lui-même, et étaient négligés en Chine, malgré leur utilité pour l’emploi, les industries et les villes. 

ChemChina a grandi vite, par fusion-acquisition plus que par hausse des ventes. En 10 ans, il avala 100 firmes d’Etat, 15 milliards de $ de perles étrangères telles la branche silicium organique de Rhodia(France), Pirelli (Italie), Elkem (Norvège), Adama (Israël) ou KraussMaffei (Allemagne). Il emploie désormais 140.000 actifs, et fait 45 milliards de $ de chiffre d’affaires par an, dont la moitié en ventes de pétrole, qu’il a été le premier groupe « privé » à pouvoir importer. 

Avant cette reprise, un autre rival voulut s’offrir le trésor Syngenta. En deux ans, Monsanto (US), n°1 mondial, soumit 4 offres, allant jusqu’à 47 milliards de $. Mais un écueil fit sombrer le rachat : le procès à venir, d’agriculteurs du Midwest contre Syngenta, pour refus (on verra bientôt pourquoi) par les ports chinois de cargos de maïs issu de semences Syngenta.
L’affaire pouvait coûter à Syngenta jusqu’à 17 milliards de $, et Monsanto exigeait des garanties. Faute de les obtenir, ce dernier retirait son offre en août 2015. 

L’échec encouragea ChemChina à tenter sa chance, et la situation du marché tourna à son avantage. D’abord, DowChemical et Dupont fusionnèrent, brisant l’équilibre précaire d’un marché jusqu’alors tenu par une poignée de conglomérats : Syngenta risquait la reprise hostile. Puis les cours du grain reculèrent suite à la baisse de demande chinoise en matières premières.

Pékin, deus ex machina, agit alors en coulisse pour soutenir les chances de son champion. Ses ports se rouvrirent, réduisant ainsi potentiellement la facture à Syngenta (augmentant les profits des actionnaires avant leur vote). Puis en décembre, contre toute attente, ChemChina put aligner cash les 43 milliards convenus. Dès lors, Syngenta pouvait voter pour l’abdication de sa liberté.

On note au passage une anomalie dans ce deal, qui met en lumière sa connotation politique : les fonds immenses furent libérés sans broncher, « par on ne sait qui » à un groupe endetté jusqu’au cou, devant déjà 24,7 milliards de $, et ayant accusé au 3ème trimestre 2015, 135 millions de $ de pertes opérationnelles. 

Les raisons de l’Etat chinois sont claires. Son agriculture, à surface égale, produit 33% de moins que celles d’Europe ou des USA. Ses progrès en 40 ans, ont été constants, mais son terroir atomisé en lopins et sa faible mécanisation l’empêche de se mesurer à l’agrobusiness international. Seule l’action d’une bio-ingénierie de pointe telle Syngenta peut changer la donne, sans faire perdre au pays son autonomie alimentaire.
C’est ici qu’apparaît l’ultime donne, vitale pour la Chine : la filière de l’OGM (Organisme Génétiquement Modifié). Avec 3,16 milliards de $ en 2015, Syngenta est second vendeur d’OGM, et seconde plateforme de semences. Ses centres de R&D hors pairs pratiquent le séquençage du génome et l’implantation de gènes privilégiés : ceux des arômes, du volume, des vitamines, de la rétention d’eau ou de l’invulnérabilité aux pestes. 

Les conséquences de ce rachat par « ChemChina » sont incalculables. Depuis 20 ans, la recherche OGM était l’apanage du ministère de l’Agriculture, qui redistribuait aux universités des souches OGM brevetées Monsanto, Dupont ou Syngenta, échangées à fin de R&D à l’exclusion de toute exploitation commerciale. Ces instituts d’agronomie devaient rassembler leurs découvertes et aboutir ensemble à la série d’OGM « nationaux » en blé, riz ou maïs, conformément aux besoins. Et de fait, ils sortaient régulièrement des souches nouvelles, « made in China ». 

Le problème est que le permis d’exploitation n’est jamais venu : trop rivales, les universités n’avaient pas joué le jeu de l’échange. Leurs « inventions » étaient piratées, voire entachées d’erreurs de manipulation. A certifier de telles semences « amateurs », la Chine ne pourrait échapper à de nombreux procès et scandales. 


Sous cette perspective, le rachat de Syngenta, selon un grand expert de ce secteur, signifie que le ministère de l’Agriculture a été désavoué, et les universités renvoyées à leurs chères études. Plutôt que de nettoyer les écuries d’Augias, tâche impossible, le pouvoir a opté pour remettre le dossier aux industriels, à commencer par ChemChina. La décision émane des super-commissions créées par Xi Jinping, et qui supervisent voire court-circuitent le Conseil d’Etat. 

On y reviendra la semaine prochaine, pour dévoiler d’autres noms de l’économie chinoise impliqués dans cette restructuration, et pour évaluer les incidences (lourdes) à attendre, sous 15 ans, pour l’agro-business mondial.

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