Dimanche 27 novembre, la Chine s’est arrachée à trois ans de torpeur pour exprimer son désaccord sur le confinement maximal dont elle est l’objet à titre de prévention de la Covid : à Shanghai, Pékin, Zhengzhou, Xi’an, Canton et bien d’autres, une population jeune s’est rassemblée dès l’après-midi jusqu’à tard dans la nuit, faisant tomber les palissades bleues qui ceinturaient leurs universités, leurs usines, leurs résidences… Ensemble, ils ont crié leur colère, leur désarroi, leur exigence que soit levée la chape de plomb qui depuis trois ans les empêche de travailler et de vivre.
L’origine du soulèvement avait eu lieu quatre jours plus tôt à Urumqi au Xinjiang. Un incendie s’était déclaré dans un immeuble confiné, que les pompiers n’avaient pas pu atteindre, faute de franchir les issues anti-incendie cadenassées par les services de sécurité. Le drame avait officiellement causé 10 morts. C’était pour ces brûlés vifs que la population s’était rassemblée. Dans Shanghai, la foule convergeait dans la nuit vers un point unique, ameutée par WeChat et les réseaux sociaux : devant le panneau de la Wulumuqi Lu (rue d’Urumqi), elle déposait des gerbes de fleurs puis, l’audace venant, entonnait des slogans plus entendus depuis une génération, comme « à bas le Parti », « la liberté ou la mort », « finis les tests anticovid ». D’autres allaient même jusqu’à prononcer cette phrase anathème, « Xi Jinping, démission ».
Les protestations se sont multipliées aux universités Beida et Tsinghua de Pékin, à celle des communications à Nankin, à l’Académie des beaux-arts de Xi’an, et dans les provinces les plus reculées comme au Xinjiang et au Tibet. Les actions ont pris les formes les plus diverses : allumer briquets ou bougies dans la rue, brandir une feuille blanche en allusion aux libertés effacées sous la censure, ou répéter le mot « hao » (bien), pour dénoncer l’absurde d’une vie où l’on n’entend et ne lit plus que du bien-pensant.
Bien sûr, une autre raison était derrière ce soulèvement : l’inquiétude pour l’avenir. Chez les néo diplômés, le taux de chômage officiel de 20% (sans doute en deçà de la réalité) déprime le marché du travail, contraignant cette jeunesse à des emplois en dessous de leurs compétences et sous-payés.
La Commission nationale de la Santé avait joué d’imprudence le 24 novembre, en faisant passer l’obligation de test PCR de tous les trois jours à quotidiennement. Ceci se passait au moment du début de la Coupe du monde de football à Doha, dont les matches étaient retransmis à la TV : stupéfaits, les Chinois découvraient des stades pleins de visiteurs de toute la terre sauf de Chine, participant sans masques aux rencontres. De quoi susciter chez les citadins l’exaspération : après avoir refusé les vaccins du monde extérieur, la Chine donnait la preuve de rester à la traine !
La nuit du dimanche 27, les villes exprimaient leur haine des « dabai » ou « grands blancs », les agents sanitaires en scaphandres étanches. Pourtant les jours précédents, le système avait donné des signes de faiblesse : la Chine retrouvait des taux de contamination en hausse, de 40 000 cas par jour. Ce qui est très peu, pour une population de 1,4 milliard, comparés aux 90 000 cas quotidiens décomptés en France début décembre. Mais la pratique du confinement avait entretemps démobilisé les Chinois de se faire vacciner, en particulier les octogénaires, principal groupe à risque. A Wuhan, berceau mondial du virus, seuls 40% d’entre eux pouvaient justifier des trois doses protégeant efficacement du variant omicron…
Une fraction de la jeunesse urbaine s’est donc révoltée : un témoin direct nous manifestait hier la fierté de leurs parents, d’avoir d’eux mêmes trouvé la force de résister à l’Etat sourd aux appels de la base. Mais comment ce dernier a-t-il réagi ?
Dans Shanghai comme ailleurs, on aurait pu s’attendre à une répression de grande fermeté, notamment contre les meneurs ayant appelé à la démission du chef de l’Etat. Or à ce stade, on n’entend que l’arrestation de quelques dizaines, peut-être quelques centaines de ces participants – c’est moins que ce que l’on pouvait craindre. Très vite identifiés – par leurs smartphones à proximité des antennes relais -, des jeunes adultes étaient interpellés chez eux à l’aube, emmenés au commissariat, dument chapitrés, mais autorisés à sortir au bout de quelques heures – le choix avait été fait de limiter les sanctions. Moins par magnanimité du régime, qu’au nom de ses intérêts bien compris. En effet, ce soulèvement avait été sans chefs, ni stratégie élaborée. Punir durement aurait été faire des martyrs, tandis que laisser faire permettait au feu de s’éteindre. Le régime a montré dans la rue des escouades d’hommes armés, des chars et équipements lourds. Et pour éviter toute tentation de reprise, il a « invité » les étudiants à retourner chez eux, quitte à reporter les examens d’hiver à mars.
Sun Chunlan, vice-ministre en charge de la santé, a convoqué d’urgence la commission nationale mercredi 30 et jeudi 1er, ordre est donné aux provinces, aux villes de relancer la vaccination du 3ème âge, avec des quotas à respecter d’ici janvier. La presse se sent soudain le devoir de rassurer sur la Covid : selon les scientifiques, le variant Omicron n’est pas si dangereux, on en survit même…
Tout ceci donne à penser que le pouvoir a instantanément réagi à l’émeute, en décidant de renoncer à la politique « zéro Covid » aussi vite que possible. Cette stratégie s’étant avérée inefficace, et dangereuse pour la stabilité du régime. L’avenir proche dira si le tournant est définitif, ou si la volonté de fermeté prévaudra, avec celle de ne pas se désavouer !
Sommaire N° 40 (2022)