Petit Peuple : Wulou (Shandong) : Les funérailles mouvementées du Père Li (3ème partie)

Wulou (Shandong) : Les funérailles mouvementées du Père Li (3ème partie)

Un cadavre subtilisé cause une tempête dans une famille de Wulou (Shandong). Avec son cousin Li Liang (le secrétaire du Parti), Zhende l’aîné des fils (et son prédécesseur dans le poste) mène l’enquête.Il vient de comprendre que c’est Wang Ling, le chef du district dans lequel ils avaient enterré le corps, qui a vendu la mèche à propos de la présence de la tombe.

Prochaine étape, la fratrie était pressée de découvrir qui avait déterré le père. Li Liang alors, recourut à une ruse, en prétendant se renseigner auprès du secrétaire Wang Ling, l’air innocent, sur les pratiques locales d’inhumation au Henan : « à Lizhuang, le fossoyeur local portait-il des gants ? » Sans malice, Wang Ling admit que c’était le cas – et ce faisant, il tomba dans le piège. En effet, si au Shandong on maniait les morts à mains nues, dans le Henan en revanche on redoutait de toucher la dépouille d’un être décédé en raison d’une croyance issue du fond des âges. Ainsi, Li Liang comprit que le profanateur du vieux Li Chenbin ne pouvait être que Liu Qinghua, le croque-morts de Lizhuang. C’était très choquant : le même homme avait été payé par la fratrie pour l‘enterrer trois mois plus tôt !

Sur ce, les trois frères et le maire de Wulou rendirent visite à Liu Qinghua à Shangqiu (Henan), où était cise son agence remplie d’énormes couronnes blanches en papier crépon. Arrivant vers 10h, ils la trouvèrent fermée. Au bout de deux heures, ayant rattrapé l’entrepreneur baguenaudant au marché, ils le sommèrent d’avouer son forfait. Comme prévu Liu nia, mais ses poursuivants sortirent leur botte secrète : au bureau de China Telecom où ils le trainèrent, ils sortirent un ordre de police leur permettant d’éplucher le compte de son numéro de portable. Et bingo, les 29-30 mars 2019, jours de l’exhumation, Liu Qinghua avait eu cinq échanges avec un certain Liu Chun, son homologue au crématorium de Wulou. Après cette fracassante révélation, Liu Qinghua n’avait plus qu’à tout déballer ! Ce jour-là, il avait reçu de Liu Chun l’offre de se rendre à Lizhuang déterrer un cadavre, pour 1 200 yuans. L’émetteur de l’ordre était Wang Ling qui, outre secrétaire à Lizhuang, se trouvait être son beau-frère. C’était donc une mission à laquelle on ne pouvait dire non. Le 30 mars 2019 donc, au volant du fourgon du crématorium de Wulou, il avait parcouru les 40km jusqu’à la sépulture. Il y avait retrouvé Liu Chun et Wang Ling. Ce n’était qu’en pelletant – affirma-t-il-, qu’il s’était rendu compte qu’il était en train de déterrer l’homme enseveli par lui-même trois mois plus tôt. Mais il était dès lors trop tard pour faire marche arrière.

Tout en chargeant avec Liu Chun le corps dans son fourgon, Liu Qinghua remarqua une autre étrangeté : dans sa main, Wang Ling ne palpait pas une, mais deux cartes d’identité, dont une au nom bien féminin ! N’y comprenant rien, il demanda à son beau-frère de quel sexe avait été le (ou la) disparu(e)… L’autre ne daigna pas répondre.

Interrogé le lendemain par les frères, Liu Chun multiplia les réponses dilatoires : « tout a été monté par Li Liang le secrétaire… je ne suis qu’exécutant ! » Peut-être pour alléger le poids de sa faute, Liu Qinghua lui, dévoila une autre anomalie : suite à la crémation de Li Chenbin à Wulou sous l’identité de la vieille maman de Wang Hongzhan, il avait dû remettre ses cendres non à la famille comme il eût été normal de le faire, mais aux mains du secrétaire de Lizhuang, qui les avait rapportées chez lui au Henan…  

Epilogue…

Le 29 avril 2020, pour « trafic de cadavres », le juge inculpa Liu Qinghua et Liu Chun, fossoyeurs respectifs de Lizhuang (Henan) et de Wulou (Shandong), et les secrétaires Wang Ling et Li Liang.  Elle laissa dans l’ombre un autre acteur du drame : l’administration des funérailles qui conditionnait les promotions des cadres au respect des quotas de crémation. Lesquels cadres en tiraient des profits. Wang Ling et Li Liang ont été loin d’être les seuls à le faire : entre fin 2019 et début 2020 au Shandong, les crémations dépassent de 20% les décès, signifiant qu’en plus des morts récents incinérés, les cadres font aussi sortir de terre en grand nombre les corps inhumés pour repasser par le crématorium… L’autorité se justifie, au fait que la fin justifie les moyens : chaque cadavre incinéré libère de la terre agricole, pour mieux nourrir le peuple. Les familles ne perdent pas tout : elles récupèrent les cendres, comme les fils de Li Chenbin ont retrouvé les siennes. Certes à mi-voix, les fils objectent que l’urne ne contient peut-être pas celles de l’auteur de leurs jours… Comme quoi l’enfer est dans les détails – ou dans les « cendres qui volent et la fumée qui se dissipe » (灰飞烟灭, huīfēi yānmiè)  ! 

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