Hong Kong : Une majorité pas si silencieuse

Le 24 novembre, Hong Kong renouait avec le calme le temps d’une journée, et pas n’importe laquelle : celle des élections de district. Après une participation record de 2,9 millions de personnes (soit 71,2%, contre 47% lors du dernier scrutin en 2015), les candidats pro-démocratie recueillaient 55% des votes, remportant 392 des 452 sièges. Ils raflaient ainsi aux pro-Pékin 17 des 18 conseils de district qu’ils détenaient jusqu’alors intégralement. Le résultat de ces élections locales, au goût de référendum politique, sonnait comme un désaveu cinglant pour le gouvernement de Carrie Lam.

La veille des élections, à Pékin, la propagande avait déjà envoyé aux rédactions des organes de presse officiels, les communiqués devant célébrer la victoire du camp pro-Pékin, porté par une « majorité hongkongaise silencieuse, exaspérée par les violences terroristes du mouvement pro-indépendance ». Le réveil se fit donc dans la confusion le 25 novembre, lorsqu’il fallut annoncer la victoire des démocrates… Cette anecdote révèle un problème sous-jacent : à nouveau, l’opinion hongkongaise a été mal évaluée par Pékin, malgré le dernier sondage annonçant trois jours plus tôt que 83,3% des Hongkongais considéraient le gouvernement largement responsable de l’escalade de la violence, tandis que 72,9% pointaient du doigt la police. Au début de la crise en juin, le gouvernement central blâmait déjà ses canaux d’information pour ne pas avoir senti le vent tourner. Pourquoi ces erreurs de jugement à répétition ? Différentes raisons peuvent être invoquées : l’intolérance envers les opinions divergentes, des informateurs n’accordant leur attention qu’aux voix loyales à Pékin, et un bureau de liaison à Hong Kong chargé de faire le bilan de son propre travail – ce qui pourrait expliquer cette fâcheuse tendance à se voiler la face… Ce constat est inquiétant et ne pose pas des bases saines pour une bonne résolution du conflit.

Paradoxalement, les résultats de ces élections sont la première opportunité tangible de sortie de crise depuis bien des semaines, et chacun y a sa part à jouer.

Pour les nouveaux élus de la mouvance démocrate, même si ces conseils de district sont des entités purement consultatives, cette victoire va leur assurer 117 des 1200 sièges au comité électoral qui, lui, participera à la nomination du prochain chief executive programmée en 2022. Une minorité certes, mais qui pourrait rebattre les cartes : certains tycoons (comme Li Ka-shing), eux aussi membres du Comité électoral, sont en froid avec Pékin qui leur impute une part de responsabilité dans cette crise. Cependant, le véritable enjeu pour les pro-démocrates est de s’organiser en vue des élections du Conseil législatif (le Legco) en septembre 2020. D’ici là, il faudra que le camp travaille à des propositions de réformes respectant « un pays », tout en protégeant les « deux systèmes », seule chance que toute négociation soit tolérée. En attendant, les élus, jeunes et sans expérience pour la plupart, devront faire leurs preuves, et chacun de leurs actes sera scruté par l’opposition.

Dans le camp pro-Pékin, la défaite infligée est largement attribuée à son impopulaire Cheffe de l’exécutif Carrie Lam, n’ayant jamais su (ré)agir en temps et en heure. Sa réponse sera donc de la première importance, et pourtant, elle n’a fait aucune annonce majeure depuis le dépouillement des bulletins… Ce scrutin tire pourtant la sonnette d’alarme : après six mois de crise, il est grand temps de prendre en compte les revendications politiques de sa population. Et des embryons de mesures économiques déjà annonçées ne suffiront pas. Alors quelles sont les options de Mme Lam ? Elle pourrait remanier son cabinet, ou alors ordonner une enquête indépendante sur les violences policières, bien qu’elle ait toujours affirmé qu’elle ne le ferait uniquement si le public était mécontent des conclusions rendues par l’IPCC (commission indépendante d’examen des plaintes concernant la police) en fin d’année. Cela dit, un retour des violences est à craindre si Mme Lam continue à pratiquer la politique de l’autruche. A moins qu’elle ne table sur la lassitude du mouvement – un pari dangereux… En tout cas son inflexibilité a balayé tous les efforts du camp pro-establishement depuis 20 ans pour se faire accepter de la rue. L’attitude de Carrie Lam divise aussi les élus conservateurs,  certains craignant d’être entraînés dans sa chute. Pékin aurait déjà envisagé de destituer la cheffe de l’exécutif, mais sa rencontre début novembre avec Xi Jinping suggérait qu’elle a encore toute la confiance du Président – du moins publiquement.

Le gouvernement central lui, observe la région administrative spéciale depuis sa Bauhinia villa aux abords de Shenzhen. Pour lui, l’heure est peut-être venue de réajuster sa stratégie. Il aurait tout intérêt à rechercher l’accommodement, du moins à court terme… Ren Yi, influent chroniqueur chinois, n’est pas de cet avis. Selon lui, en votant ainsi, les électeurs hongkongais auraient ouvert une boîte de Pandore : désormais, plus la ville rejettera la souveraineté chinoise, moins elle pourra sauvegarder son autonomie, pouvant même la perdre avant 2047.

Enfin, un dernier acteur s’invite dans le débat : outre-Pacifique, le Sénat américain approuvait le 20 novembre à la quasi-unanimité une loi visant à conditionner le statut économique spécial de la RAS, à un examen annuel du degré d’autonomie des autorités locales. Après avoir hésité quelques jours, le Président Trump signait finalement cet acte, moins par conviction que par contrainte : deux tiers des votes du Congrès auraient outrepassé un veto du Président. Malgré les menaces de représailles chinoises, le locataire de la Maison Blanche n’avait donc pas tellement le choix. Toutefois, il laissait entendre qu’il pourrait contrôler l’application de cette loi, si Xi Jinping lui accordait le mini-deal tant attendu. Les négociations commerciales seraient donc toujours sur les rails. De plus, Pékin n’a pas tellement les moyens de répliquer, si ce n’est de ralentir les palabres, pourquoi pas jusqu’à l’année prochaine. Sous cette lumière, la situation à Hong Kong n’est donc qu’un pion de plus dans le conflit qui oppose les USA et la Chine.

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1 Commentaire
  1. severy

    Plus que 27 ans et le « problème de Xiangkang » sera résolu. À peine une génération. Pourquoi s’inquiéter? Le gros chat à la fourrure mitée et rayée tend déjà une gueule largement ouverte pendant qu’il éternue bruyammant, éclaboussant les pays voisins de fragments de faucilles et de marteaux englués dans la morve du temps.

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