Petit Peuple : Nanning (Guangxi) – Qin Youhui ou le meurtre introuvable (2ème partie)

Qin Youhui, le promoteur immobilier, a payé 2 millions de yuans à Sun pour faire éliminer le gênant Wei Wuming. Mais Sun préféra déléguer la tâche pour la moitié de la somme. Deux intermédiaires plus tard, Wang se voit proposer le contrat pour 250 000 yuans.

Au fil de la conversation avec son beau-frère, Wang devina qu’il n’était pas le premier à s’être vu proposer de l’argent pour trucider le pékin. Il se dit qu’il lui suffirait, lui aussi, de refourguer le contrat une fois Hu repartit. Et c’est ainsi qu’il s’en alla voir Ling Xingsi, un pauvre diable du village qui vivait la plupart du temps des aumônes qu’il implorait à l’orée du hameau, devant le monastère. Sans se faire prier, Ling accepta le contrat et les 125 000 yuans de prime proposés.

Pendant ce temps, chaque quinzaine, Qin le commanditaire allait exploser d’exaspération chez Sun, réclamant la mise en œuvre de leur accord. Les réprimandes se répercutaient alors jusqu’à Ling qui, stoïque, ne répondait rien. En effet, le pauvre bougre s’était mis à cogiter sur cette mission qu’il avait si imprudemment acceptée : en tant que fervent bouddhiste, il ne pouvait se résoudre à commettre une telle infraction à ses principes.

Finalement, c’est en avril 2014, six mois après la commande criminelle initiale, qu’il passa enfin à l’action. De sa plus belle plume, il écrivit à Wei pour lui proposer une rencontre, une semaine plus tard, dans le seul lieu qu’il connaissait à Nanning : un café sur la rue principale. Il s’agissait, lui expliquait-il, d’une « affaire de la plus haute importance ». Intrigué, Wei accepta le rendez-vous par retour de courrier.

Le jour venu, Ling expliqua à l’homme d’affaires les ennuis dans lesquels tous deux se trouvaient, l’un étant supposé éliminer l’autre. « Je ne pourrais jamais te tuer, encore moins pour 125 000 yuans, le rassura-t-il maladroitement. Mais dénoncer l’affaire à la police n’est pas non plus envisageable, car Qin engagerait un autre tueur pour nous éliminer tous les deux. Non, la seule solution est que nous coopérions ». Ling lui expliqua alors son plan en détail. Il s’agirait de mettre en scène l’assassinat de Wei : il lui attacherait les mains dans le dos, le bâillonnerait et disperserait un peu de sauce tomate sur ses habits pour qu’il ait l’air d’avoir succombé sous les coups. Ling enverrait alors la photo de la scène à son financeur pendant que Wei irait se cacher chez un ami, le temps que l’affaire se calme.

Sentant qu’il n’avait pas d’autre choix, et après avoir mis sa femme dans la confidence, l’entrepreneur accepta de se prêter à cette mascarade. Ling envoya alors avec la photo, le récit détaillé de la pseudo exécution à Wang qui, soulagé que l’affaire soit enfin réglée, la retransmit immédiatement à Hu, qui l’envoya à Zhu, qui la donna à Sun, qui la montra à Qin Youhui, le tout en l’espace de quelques heures.

Mais, pour Qin, le plaisir de la vengeance accomplie ne dura pas longtemps. Dix jours plus tard, Wei, estimant que la plaisanterie avait assez duré, sortit de sa cachette. Ayant réalisé qu’il n’avait pas grand-chose à craindre de tels amateurs, il se rendit directement au commissariat pour y déposer plainte. Dès les premières phrases, les deux inspecteurs qui reçurent sa déposition échangèrent un lourd regard, qui en disait long. On avait là en effet un crime qui restait à commettre et cinq assassins d’opérette qui semblaient faire grève du zèle : il allait falloir beaucoup de patience et d’efforts (滴水穿石, dī shuǐ chuān shí) pour démêler cette affaire et espérer obtenir des aveux …

Les limiers se mirent alors à l’ouvrage et convoquèrent le commanditaire du meurtre et ses hommes de main. Tous, bien sûr, nièrent en bloc, sauf le dernier, Ling, qui se savait de toute façon incriminé par celui qu’il avait épargné. A force de recoupements, les enquêteurs réussirent au bout de quelques mois à reconstituer à peu près les responsabilités de chacun des mis en cause. En 2016, le tribunal prononça pourtant un non-lieu. Cette décision rarissime dans les annales de la justice chinoise trahissait le désarroi du magistrat : le dossier était simplement trop vide de substance pour lui permettre de statuer.

Dans la presse et sur la toile, l’affaire fit grand bruit. Alors qu’en Chine, 99% des crimes se terminent sur une condamnation, cette affaire était embarrassante pour l’appareil judiciaire socialiste. Depuis Pékin, le procureur suprême fit donc appel lui-même de la décision. Les protagonistes furent réinterrogés, et le 17 octobre 2019, ils furent jugés coupables, « leurs agissements constituant un crime d’homicide intentionnel ». Qin en prit pour cinq ans à l’ombre, quant aux autres, ils se partagèrent un total de 12 ans et un mois à purger. Compte tenu du fait que c’était son action qui avait permis d’éventer toute l’affaire, Ling le vagabond, écopa de la plus courte peine (2 ans et demi) et, au vu des mois déjà passés derrière les barreaux, il fut libéré dans la foulée.

De ce qu’il restait de son pactole, Ling fit un généreux don au prieur de son monastère, certainement pour se racheter une bonne conscience, mais aussi pour bénir sa nouvelle vie qui commençait : car avec le restant de la somme, Ling venait enfin de réaliser son rêve d’ouvrir sa propre quincaillerie dans une petite rue commerçante de Nanning.

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1 Commentaire
  1. severy

    Bref, tout va mal qui finit bien.
    Des histoire comme celles-là, on en redemande.
    « Hai yao, hai yao! »

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