Dans les heures suivant la libération sous caution de Meng Wanzhou à Vancouver (12 décembre), deux arrestations de ressortissants canadiens intervenaient en Chine, suivant la loi du Talion : celle de Michael Kovrig, ex–diplomate, suivie le lendemain de celle de Michael Spavor, homme d’affaires. Ce faisant, Pékin dénonçait à sa manière l’interpellation de Meng, directrice financière du groupe Huawei et futur PDG pressenti. Suite à un mandat d’arrêt des Etats-Unis, Meng avait été arrêtée le 1er décembre à Vancouver, en transit vers le Mexique. Depuis l’émission du mandat, elle évitait de fouler le sol américain, tentant d’échapper à l’arrestation.
Cependant, le jour de son interpellation coïncidait avec la rencontre entre Xi Jinping et D. Trump qui s’étaient donnés 90 jours pour régler leur litige commercial. Pékin l’interprétait comme un double jeu des USA, avec le soutien tacite du Canada.
Sur le fond, pourquoi cette colère du gouvernement chinois dénonçant de « graves atteintes aux droits humains de la victime »? On peut distinguer deux raisons :
– n°1 chinois équipementier des télécoms (92 milliards de $ de chiffre d’affaires en 2017), Huawei est un fleuron du projet Made in China 2025, et une des meilleures chances du pays pour s’imposer sur le marché d’avenir de l’équipement internet, devant les majors mondiaux traditionnels. Sous cette perspective, l’arrestation de Meng peut être vue comme élément d’une stratégie pour bloquer l’avancée chinoise, sous des prétextes divers, tel le viol par une filiale de Huawei d’un embargo de vente à l’Iran entre 2009 et 2014.
– la seconde raison peut être presque encore plus forte. Une règle immuable de la nomenklatura, est de protéger ses enfants. Or Meng, fille de l’ancien haut cadre militaire Ren Zhengfei, appartient à ce club très fermé de l’aristocratie rouge, lequel, attaqué, se défend par esprit de corps.
La remise en liberté de Meng contre 7,5 millions de $ de caution, va permettre de réduire les tensions. Les 16 conditions qui lui sont imposées rendent impossible toute évasion, dont un bracelet électronique, l’assignation à résidence en sa villa cossue de Vancouver, le couvre-feu de 23h à 6h, obéir à ses agents de sécurité privés, et rendre ses sept passeports.
Mais l’an prochain, la tension remontera, lors du verdict sur l’extradition réclamée par les USA. Même si celle-ci était accordée, elle pourrait mettre des années à être exécutée. Le précédent de Lai Chanxing reste très présent dans les esprits. Cet homme d’affaires-escroc des années 90 qui importait pour ses clients chinois des masses phénoménales de produits hors taxes, privant le fisc de 7 milliards de $ de recettes. Réfugié au Canada (à Vancouver), il avait été extradé au bout de 10 ans de procédures, la justice canadienne étant proverbialement soucieuse des droits de l’Homme.
En principe, Ottawa acquiesce à presque toutes les demandes d’extradition de Washington. Mais les choses devraient aller autrement, vu la puissance de rétorsion de la Chine. Trump d’ailleurs (renforçant ainsi la thèse d’une arrestation de Meng pour servir d’« otage »), suggère qu’il pourrait « intervenir » sur l’affaire Meng (par exemple en levant le mandat d’arrêt) s’il obtenait satisfaction de Pékin sur ses demandes commerciales.
Que pense l’opinion chinoise de l’incident ? De manière prévisible, pour la plupart des citoyens, alignés sur leur gouvernement et dénonçant la tentative de rogner les ailes à Huawei, la colère gronde.
Le sort de M. Kovrig et de M. Spavor par contre, fait froncer des sourcils, côté USA et Europe : la Chine n’a pas donné d’explication à sa détention. Elle va devoir clarifier sa position, sous pression diplomatique. D’autres récents cas d’étrangers arrêtés en Chine, sont ceux de Peter Humphrey, consultant anglais pour le groupe anglais pharmaceutique GSK et son épouse en 2013, de Kevin and Julia Garratt, couple de missionnaires canadiens en 2014, ou encore de Peter Dahlin, un membre suédois d’une ONG en 2016.
Cette crise « judiciaire » pour l’instant, ne semble pas avoir d’influence sur la trêve sino-américaine, et les négociations commerciales ont repris.
Pour autant, les démêlés de Huawei avec l’Amérique sont loin d’être terminés, sous l’imputation de livraisons d’équipements en Iran. ZTE, n°2 du secteur, avait écopé en mai de 1,3 milliard de $ d’amende et d’une surveillance très stricte de son management par l’administration américaine. C’était la condition pour recouvrer son accès au marché américain pour ses produits, et aux fournisseurs américains. Une épée de Damoclès est donc suspendue au-dessus de la tête de Huawei.
Le groupe est également soupçonné de transmettre via ses appareils, les secrets des utilisateurs aux services secrets chinois. Pour ces raisons, sous la pression de la Maison Blanche, AT&T et Verizon, les deux opérateurs américains de téléphonie mobile, ont cessé de distribuer ses produits, et quatre des cinq Etats membres de l’alliance sécuritaire « Five Eyes » leur ont emboîté le pas, bannissant Huawei de leurs réseaux 5G. Outre les USA, Nouvelle-Zélande, Australie, Royaume-Uni, le Japon vient de lui fermer la porte, et bien d’autres envisagent d’en faire autant.
Face à cette levée de boucliers, Huawei tente de faire bonne figure. A la demande des autorités anglaises de la cybersécurité, le groupe de Shenzhen a annoncé un plan de 2 milliards de $ pour faire évoluer sa technologie et démontrer son innocence. Il faudra bien cela, pour que ce géant chinois reste dans la course mondiale, et parvienne à dissiper la menace d’enclavement dans son propre marché intérieur.
Par Liu Zhifan
1 Commentaire
severy
15 décembre 2018 à 21:53Tiens, se disent à présent les concepteurs de réseaux informatiques espions de l’Empire de l’Est, les bipèdes autonomes occidentaux ne veulent pas être fichés! Quel malheur! Comment allons-nous faire pour concurrencer Google et les autres systèmes d’espionnage commercial américains? On se demande quelle parade ils vont trouver…