Petit Peuple : Xinlong (Hunan) – Le mystère du cadet manquant (2ème partie)

Souffrant d’une maladie mentale, Ma Jixiang, 58 ans, de Xinlong (Hunan), a disparu sept ans avant d’être retrouvé et rendu aux siens. Muet, en piètre état mais vivant, il laisse autour de lui un énorme mystère sur ce passé !

Durant ces 7 années, Ma Jixiang s’était-il soustrait de son plein gré au monde, ou y avait-il été contraint ? Ma Jianjun son frère aîné, Chen Xiaofen sa belle-sœur en furent réduits aux conjectures, car sous l’angle de la parole, Jixiang était demeuré incapable de bredouiller plus de quelques mots, le plus souvent inintelligibles. Toutefois, les brûlures et ecchymoses sur ses membres leur firent soupçonner que la période s’était déroulée sous de grandes souffrances. En outre, le fait qu’il ait gratifié Xiaofen, 70 ans, lors des retrouvailles, d’un titre de « da jie » (grande sœur) qu’il lui avait dénié depuis des dizaines d’années, leur fit penser que la douleur avait fini par éteindre en lui toute rancœur familiale, pour laisser remonter la nostalgie du foyer, les souvenirs de tendresse et de chaleur humaine.

Car Jixiang n’avait pas toujours été ce simplet qu’ils retrouvaient à présent. À l’âge de 24 ans, il avait été actif et sociable, parfaitement normal dans son hygiène de vie et sa participation aux tâches. Il s’était souvent levé à l’aube pour aller repiquer ou désherber le riz ou entretenir les terrasses. Quoique souvent le ventre creux – comme tout le monde, à l’époque – il ne se plaignait jamais. Loin d’être acariâtre, il aimait même parfois pousser la chansonnette, au coin du feu…

Son drame avait été son incapacité à trouver femme. A 18 ans, il s’était mis à fréquenter tous les marchés aux mariages, où les entremetteurs proposaient les unions. Mais pas une famille ne l’avait accepté : il était trop petit, pas assez avenant—ses joues et son front étaient grêlés. Il était surtout trop pauvre pour posséder le sacro-saint lopin de terre, et aligner la dot exigée en dizaines de milliers de yuans, qui feraient pour les parents leur pension véritable. Le mariage en ces contrées, n’était point affaire d’amour ni de complémentarité dans le couple, mais de retour sur investissement.

Pour tout empirer, le pauvre Ji-xiang avait subi à l’adolescence un trouble psychique qui eût été en soi bénin pour peu qu’il ait été détecté et soigné, ce qui n’avait pas été le cas. Aussi son échec à convoler et l’humiliation d’être rejeté, servirent de terreau favorable à l’expansion du mal. Au fil des années, il cessa de parler, sauf en grommelant. A 30 ans, il quitta la maison familiale pour occuper une cahute deux pas plus loin. Il ne voulait plus voir personne.

Dans son changement de comportement, ce qui fit le plus mal à Xiaofen, fut qu’il cesse de lui leur rendre visite, qu’il refuse toutes leurs invitations à dîner, et cesse de l’appeler « da jie » . Il cessa aussi de contribuer aux tâches collectives, pour aller vadrouiller dans la campagne, se nourrissant de cueillettes innommables, baies, champignons, riz glané. Quand il disparut, il était devenu sauvage. Jianjun et Xiaofen se disaient qu’il gardait envers la société, même envers leur couple, une rancune inguérissable pour vivre si heureux tout en le tenant loin de leur bonheur, abandonné.

Ils s’étaient persuadés que, lors de son ultime vadrouille, il avait été kidnappé. Il avait passé ces années en un bagne clandestin, réduit en esclavage par des entrepreneurs sans scrupules qui exploitaient sa force de travail. Avec des dizaines d’autres handicapés mentaux comme lui-même, il avait 12 heures par jour malaxé et façonné des briques, les démoulant une fois sèches pour les empiler dans un four alimenté à grandes pelletées de mauvais charbon. Le lendemain à mains nues, il avait dû sortir les briques encore brûlantes, les transporter sur des brouettes aux camions, qu’il avait dû charger avec ses compagnons de misère.

A ce jeu dangereux, il s’était souvent brûlé, mais avait dû poursuivre. Sous les coups des matons, il était devenu incontinent, et avait contracté cette claudication.

Dernièrement, il s’était affaibli au point de ne plus pouvoir quitter son grabat. Alors, supposaient Jianjun et Xiaofen, ses bourreaux, pour s’épargner ses frais d’entretien, l’avaient relâché en rase campagne où il avait végété, jusqu’à ce qu’une patrouille finisse par le ramasser, permettant la réunification avec les siens.

Le lendemain de son retour,  Jianjun et Xiaofen le conduisirent à son propre tombeau, afin de ne rien lui cacher de ce qu’ils avaient fait pour lui durant son absence. Ils étaient aussi un peu curieux, il faut le dire, de voir comment ce frère réagirait, découvrant qu’ils l’avaient rayé du nombre des vivants. A ce moment bizarre, ils virent le cadet s’agenouiller et faire ses dévotions devant ce monument érigé en son honneur. Ils l’interrogèrent, mais en vain : pas moyen de savoir si c’était la douleur ou la simple piété qu’il exprimait, ni si ce sentiment s’appliquait à sa propre destinée, ou bien à celle de l’inconnu enterré à sa place.

Était-ce pour calmer l’indignation publique face à leur énorme faute d’identification ? Toujours est-il que police et province firent merveille pour octroyer à Jixiang, en un temps record, un statut d’handicapé mental, et une place très convoitée en maison de retraite aux frais de l’Etat.

Il vit désormais dans le foyer de Baishi à courte distance de sa famille. Disposant de sa chambre, avec son lit en pin, son armoire et sa télévision, il a tout ce qu’il désire. Il ne parle toujours pas, mais a cessé de boiter. 300 yuans par mois de subvention suffisent pour ses repas. Lors des visites, les siens lui apportent son tabac.

Il passe ses jours avec les autres pensionnaires devant la TV, un jeu de mah-jong, ou bien de cartes. C’est un petit bonheur reconquis sur le tard. Sa vie est là, comme exemple au proverbe : « la survie dépend du ciel, mais le bonheur, de soi-même » (命由天定, 福自己球 – mìng yóu tiān dìng, fú zìjǐ qiú) !

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