Economie : Les fonctionnaires se serrent la ceinture

Les fonctionnaires se serrent la ceinture

Pas de bonus de fin d’année ! Les comptes des gouvernements locaux sont dans le rouge, et les fonctionnaires vont devoir se serrer la ceinture. Dans une dizaine de provinces (Shanghai, Zhejiang, Jiangxi, Fujian, Guangdong, Henan, Hubei, Shandong, Chongqing …), les employés de l’État ont vu leur rémunération annuelle réduite de 20 à 30% en moyenne. Dans certains cas, ils ont même dû rembourser des primes déjà perçues au cours de l’année ! Or, ces dernières constituent une majeure partie de la rémunération des fonctionnaires, leurs salaires étant notoirement peu élevés, mais complétés par divers avantages sociaux (allocations au logement, accès peu coûteux aux soins de santé…). C’est ce « package » qui a attiré un nombre record de candidats aux concours d’entrée dans la fonction publique en 2021.

Il n’empêche, à l’annonce de ces coupes salariales, les plaintes de fonctionnaires ont afflué sur les réseaux sociaux. Comme pour répondre à ce « vent » de mécontentement, le Premier ministre Li Keqiang a déclaré courant décembre que plus de 8600 milliards de yuans de réduction d’impôts ont été consenties depuis 2016 et que le processus devait se poursuivre « pour aider les entreprises et stimuler l’économie ». L’État central fera de son mieux pour aider les gouvernements locaux, a promis le patron du Conseil d’État. Mais cela suffira-t-il ?

En novembre 2021, seule Shanghai affichait un budget excédentaire sur les 31 provinces et municipalités. 18 d’entre elles, essentiellement situées dans l’Ouest, le Nord et le Centre du pays, ont enregistré un déficit plus important que la totalité de leurs revenus. Le Tibet se retrouve particulièrement dans le rouge, avec un « trou » de 177,6 milliards de yuans, soit sept fois ses revenus annuels.

Liu Caiyi, professeur d’économie à l’université Fudan (Shanghai), estime que la dette « officielle » des gouvernements locaux serait de 30 000 milliards de yuans, soit 21 000 yuans par citoyen chinois. Un récent rapport de Goldman Sachs évaluait plutôt la dette totale à 53 000 milliards de yuans fin 2020, soit 52% du PIB.

Comment expliquer un tel trou dans les finances publiques, qui s’aggrave depuis deux ans ?

Le premier facteur tient à la stratégie « zéro Covid ». Une simple estimation des frais engagés par la ville de Xi’an, qui a confiné pendant trois semaines ses 13 millions d’habitants, donne une idée des montants en jeu. Six rounds de tests, à 10 yuans l’unité : 780 millions de yuans. 45 000 personnes confinées dans des centres de quarantaine à 250 yuans la journée : 160 millions de yuans. Sans compter les livraisons de nourriture et de produits de première nécessité au reste de la ville… Le total pourrait s’élever à quelques milliards de yuans. À titre de comparaison, le budget de la ville était de 154,15 milliards de yuans en 2020 tandis que la province du Shaanxi a dépensé 5,5 milliards de yuans dans la prévention épidémique pour toute l’année 2021.

Le second facteur, et sûrement le plus important, est le ralentissement du marché immobilier. En effet, les gouvernements locaux tiraient jusqu’à présent près de 40% de leurs revenus des ventes de terrain aux promoteurs. Or ceux-ci ont été astreints à une cure de désendettement par l’État, ce qui a fait chuter les recettes des gouvernements locaux. Acculés, ils cherchent donc à augmenter leurs revenus par tous les moyens.

À Hangzhou (Zhejiang), « capitale » du live-streaming et figure de proue de la « prospérité commune », le bureau des taxes a « ponctionné » la célèbre animatrice Viya d’une amende record de 1,3 milliard de yuans pour évasion fiscale. Les autres influenceurs avaient jusqu’au 31 décembre pour se mettre en règle. Dans la « bourgade » de Bazhou (Hebei), 750 000 âmes, c’est grâce à des inspections « punitives » (frais arbitraires, amendes…) dans les entreprises que les cadres locaux ont pu récupérer 67 millions de yuans en 67 jours. Une pratique condamnée par le Conseil d’État.

Selon Sun Liping (孙立平), éminent professeur à l’université Tsinghua (Pékin), la chute des revenus tirés de l’immobilier, véritable « vache à lait » des gouvernements locaux, pourrait conduire à une hausse des impôts. Le projet d’introduction d’une taxe foncière en est une émanation. Seulement, « plus la taxation sera lourde, plus l’économie perdra de sa vigueur, ce qui aboutira à une crise économique », avertit le sociologue. Pour éviter un tel scénario, Sun recommande d’alléger les dépenses de fonctionnement des gouvernements locaux et de rationaliser leur organisation. Sous cette perspective, la rémunération des salariés des entreprises d’Etat pourraient également être réduite.

D’après Li Daokui (李稻葵), économiste à l’université Tsinghua (Pékin), des « incitatifs économiques suffisants » sont nécessaires pour former des administrations « compétentes » et des marchés « efficaces » dans les différentes régions du pays. Pour cela, il faut que les gouvernements locaux conservent une part suffisante de leurs revenus et transfèrent leur dette à l’État central. L’économiste préconise également de faire porter le poids de la taxation sur la consommation plutôt que la production de manière à inciter les autorités locales à augmenter leur population… Mais le conseiller du Premier ministre ne se fait pas d’illusions : « les cinq prochaines années seront probablement les plus difficiles que le pays ait connues depuis le début de la période de réforme et d’ouverture [dans les années 80] ».

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