Blog : Chacun chez soi à Pékin

Chacun chez soi à Pékin

Pour les habitants de Pékin, chaque journée débute par le même rituel : s’informer du nombre de nouveaux cas de coronavirus recensés depuis la veille. Pourtant, personne ne cède à la panique, la situation dans la capitale étant beaucoup moins sévère que dans le Hubei. Certains profitent de cette quasi-quarantaine, recommandée par le gouvernement, pour remettre en service leur tapis de course, faire de la méditation dans le calme assourdissant de la ville, ou se noyer dans le flot d’informations quotidien, plus ou moins anxiogène, qui déferle depuis le début de l’épidémie… Même si chacun s’efforce de ne pas tomber dans la psychose, le climat n’en est pas moins morose. Les invitations à dîner se sont taries et les rendez-vous sont annulés, par précaution. Certains compensent alors ce manque de vie sociale en chattant au téléphone avec leurs proches. Beaucoup se sont également remis à cuisiner eux-mêmes des produits frais, craignant que les plats qu’ils se faisaient livrer habituellement soient contaminés. 

Zhao Yang, mère célibataire, trouve le temps long : « c’est difficile de garder mon fils enfermé aussi longtemps. Je ne sais plus comment l’occuper… ». Dans certaines colocations, les occupants s’évitent précautionneusement. Même scénario pour ce couple ayant passé les fêtes de Nouvel an séparément, mais qui, depuis leurs retrouvailles à Pékin, n’ose s’embrasser de peur de contaminer l’autre. Pour Zhang Wei, souffrant de maux de ventre depuis plusieurs jours, pas question d’aller à l’hôpital de peur d’y contracter le virus. Wang Lin elle, ne craint pas pour son mari médecin qui sera bientôt envoyé sur la ligne de front à Wuhan. « Je sais qu’il se protégera correctement. S’il peut sauver des vies, c’est là-bas qu’il doit être », déclare-t-elle courageusement.

D’autres sont inquiets, mais pour des motifs économiques. Wang Bin, entrepreneur, se sent pris à la gorge : « si la situation perdure, je ne serais pas en mesure de payer mon personnel, ni le loyer de mes bureaux. Je crains de mettre la clé sous la porte ».

Même si Pékin se transforme en ville fantôme lors de chaque Nouvel an chinois, les rares personnes dans les rues cette année se lancent des regards suspicieux derrière leurs masques. Lorsque la pollution se dissipe ou que la neige s’arrête, certains en profitent pour faire de belles promenades en vélo dans les avenues dépeuplées de la capitale. Les quelques monuments et temples ouverts, d’ordinaire pris d’assaut pendant les vacances, sont déserts… En revanche, les rayons des supermarchés sont bien achalandés, sauf ceux des masques chirurgicaux, désinfectants ménagers et nouilles instantanées, désespérément vides… Alors la solidarité prend le relais : les amis s’échangent des gels anti-bactériens ou des masques stockés depuis leur dernier voyage à l’étranger. Pour rentrer chez soi, il faut se soumettre à un contrôle de température à l’entrée de sa résidence. Une note est d’ailleurs apposée sur chaque porte : « toute personne ayant récemment visité Wuhan doit se signaler (ou être signalée par ses voisins) ». Dans les ascenseurs, des cure-dents sont mis à disposition pour éviter d’avoir à appuyer avec ses doigts sur la touche de son étage. 

Certains ne peuvent s’empêcher d’observer qu’une chape de plomb s’abat progressivement sur le pays. Les mesures restrictivess’accumulent : le report de l’ouverture des écoles, la fermeture des cinémas et salles de sport, l’interdiction aux livreurs d’entrer dans les résidences, l’annulation des vols depuis et vers la Chine de compagnies aériennes étrangères, la fermeture des frontières des pays voisins, la mise en quarantaine de nouvelles villes chinoises…

Quelques expatriés s’interrogent : rester, quitte à être bloqué si la situation empire, ou prendre le risque de voyager et d’attraper le virus ? Pour l’instant, malgré la suspension des liaisons aériennes d’Air France, Lufthansa, Swiss, ou British Airlines, la porte n’est pas réellement fermée, puisqu’il est encore possible de rejoindre l’Europe en transitant par Dubaï par exemple. Mais ces interruptions contribuent à alimenter un sentiment de claustrophobie que l’on peut ressentir dans les conversations de certains groupes WeChat. Finalement, tout le monde s’interroge : jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer ? Le gouvernement évalue le pic de contamination autour du 10 février. D’autres estiment que la crise devrait durer jusqu’à la fin février, mi-mars, voire début avril… Le pays entier est plongé dans l’incertitude. En attendant, sur les 10 millions ayant quitté la capitale avant les fêtes, 8 millions ne sont toujours pas rentrés selon le ministère des Transports. La seconde partie de la bataille commence…

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1 Commentaire
  1. severy

    In viro veritas
    Autant en emporte le virus
    Chi va sano va piano … chi va viro non va lontano
    Etc.

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